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  • : Lettres de 3 frères poilus
  • : 3 frères, Maurice, Paul, Joseph, élevés dans une famille catholique et patriote qui ne roule pas sur l'or. Maurice passe son bac de philo en 1912, comme 7000 autres condisciples. Paul vient d'obtenir son Doctorat en médecine et part sous les drapeaux pour un service militaire normalement de 3 ans. Joseph est un jeune vicaire. Leur destin va basculer au cours de l'été 1914. Voici, semaine après semaine, leur correspondance de guerre. Que leur courage ne soit pas oublié.
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2 août 2008 6 02 /08 /août /2008 21:51
Résumé des lettres précédentes

Maurice, le cadet qui a  réussi son "bac de philo" est depuis un an "au régiment" avant d'entamer, pense t'il, des études de droit. Il a des galons de sergent mais n'a pu devenir officier ; Paul  entame sa 3e année de service en tant que médecin aide-major à Epernay, dans un régiment de Dragons. Joseph, l'ainé, est vicaire dans le sud de la France. Leur parents et leur soeur Yvonne sont à Maubeuge, tout au nord. La guerre les surprend comme un orage au milieu d'un ciel bleu, bien que Maurice, dans son dernier courrier du 14 juillet, ait évoqué un "temps malsain", prémonition, peut-être  de ce qui les attendaient  pour de longues années...
Thiaumont

Lundi 3-8-14

 

Je profite encore d'une heure de permission pour vous écrire quelques mots.

La mobilisation s'achève et il est temps je crois car les Allemands paraît-il envahissent la frontière.

Nous partons on ne sait encore quand et où, ce sera peut-être mercredi matin. En tout cas on partira et veuillez croire avec plaisir car on s'ennuie ici, on veut se battre. Espérons en la victoire, il nous la faut à tout prix. Ce matin j'ai accomplis mes devoirs, je suis tranquille. J'ai 15 hommes à moi. Les réservistes sont arrivés aujourd'hui. Quand à Joseph il est parti sans doute pour le 75ieme, Paul est peut être sur la frontière. 

Je vais bien et j'ai bon espoir de revenir. Si on passe par Maubeuge tachez de venir me voir, je serai très heureux et maman !!!

Mon adresse je vous la donnerai ultérieurement. Allons adieu. Conservez nous en bonne santé priez pour Joseph Paul et moi et pour la France

Maurice

 

Tillot sous-les-côtes 11 août 1914

 

Bien chers,

 

Nous voici petit à petit en route vers le Nord. Notre corps d'armée se tasse pour faire place aux nouveaux arrivants. Hier à midi trente nous avons quitté Hattonville par une chaleur effroyable pour venir à 6h de là, à Tillot sous les cotes. Nous sommes toujours au pied des côtes de Meuse, dans la plaine de la Woëvre, face à Metz qui se trouve à une trentaine de kilomètres. Les Allemands seraient à Spincourt à une trentaine de Kilomètres au N.E. de nous. Ils ont fait une attaque de nuit hier contre Mangienne où se trouve l'aile gauche de notre armée, l'armée de l'Est, la mienne, juste au milieu des 5 armées françaises faisant face au Nord et à l'Est. Depuis ce matin, nous sommes l'arme au pied, prêts à partir. Une division de cavalerie est allée reconnaître si l'attaque allemande de cette nuit était soutenue par une masse. Jusqu'à présent nous n'avons vu aucun allemand, nous n'avons tiré aucun coup de fusil. Je me crois toujours en manoeuvres. Cependant par moments nous entendons le canon soit au Nord, soit à l'Est. Je pense que vous avez lu le combat de Mulhouse. Notre artillerie s'y est montrée supérieure, d'après les dires. Un régiment d'artillerie française aurait fait une attaque endiablée à la baïonnette. L'impression en Alsace a dû être grande.

De temps en temps nous voyons des aéroplanes français porteurs de dépêches. Dimanche dernier nous avons aperçu planant au dessus de Metz un ballon observatoire allemand. J'aurai besoin d'une paire de chaussures solides : celles que j'ai commencent à lâcher. Point de villes à proximité et du reste tout est enlevé. Envoyez-moi donc une paire de brodequins solides à semelle épaisse et pourvue de gros clous, à bouts carrés. Si vous pouvez y joindre un gobelet de cuir ou en métal s'emboitant, ce sera parfait. Il me faudrait cela le plus tôt possible naturellement. Je vous répète que tous nos envois soit de lettres, soit de paquets doivent être adressés à Soissons, au 67E d'infanterie. Le dépôt du 67e, resté à Soissons se charge de nous faire parvenir lettres et paquets. Ma pointure en chaussures est au maximum 40. Mieux 39 ½. Si Maman est toujours en Alsace, il n'y a pas moyen de lui écrire ou de recevoir de ses nouvelles. Je pense la voir dans quelques semaines quand nous aurons franchi la frontière. Inutile de lui envoyer nos lettres qui seraient arrêtées du reste, ou bien ouvertes.

J'ai bien fait de demander à passer officier. Je suis à cheval ; j'ai une cantine personnelle, une ordonnance. Je suis toujours logé quand c'est possible : jusqu'à maintenant j'ai toujours eu un lit. Je vis à la popote de l'Etat-major du régiment où nous sommes fort bien. J'apprends là un tas de détails de mobilisation, de formations d'armées fort intéressants. Nous avons un colonel qui paraît être un homme de grande valeur et très averti. J'ai touché le 8 août, mon indemnité d'entrée en campagne soit 500 francs. Si j'étais sûr qu'un envoi d'argent vous arrive, je vous en expédierais bien une partie, d'autant plus qu'à part des suppléments de nourriture ou de boisson, je ne dépense pas beaucoup.

Samedi dernier, je suis allé à cheval à Vigneulles sous-les-côtes où se trouve l'E.M. Du 6e corps d'armée ; j'ai vu amener un prisonnier allemand  qui m'a paru bien résigné. Son uniforme était gris-souris.

Que deviennent Joseph et Maurice et où sont-ils ? Ils ont dû vous écrire. Expédiez moi leur lettres : ça m'amusera. Envoyez-moi des détail sur Maubeuge, les arrivées de troupes, les dispositions prises, l'état d'esprit des habitants. Ici on ne sait pas grand chose. Expédiez-moi des journaux assez souvent. Nous sommes affamés de nouvelles. A bientôt vos lettres. Je vous embrasse.

D Paul B.

Suite des lettres vers le 10 septembre...
Au début de la guerre, les armées étant sans cesse en mouvement et la poste aux armées peut-être encore insuffisamment organisée, la correspondance est assez éparse. Elle deviendra beaucoup plus dense à partir de l'automne 1914.
Thiaumont 

 

 

 

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13 juillet 2008 7 13 /07 /juillet /2008 11:30

Soissons le 6 juillet 1914, 11 rue Plock

Mes biens chers,

Nous sommes de retour du camp de Châlons depuis une douzaine de jours. Nous y sommes restés quinze jours. Pour y aller nous avons mis 4 jours. J'ai fait la route à cheval : de Senlis j'ai ramené un petit cheval arabe de cinq ans Djirb, très capricieux et à moitié dressé. J'ai eu à le choisir sur une vingtaine de chevaux. On voulait d'abord me donner une rossinante de quinze ans mais je n'en ai pas voulu. Avec Djirb j'ai fait de grandes randonnées à travers le camp de Chalons, tout seul ou avec mon chef de service ou un aide-major venu au 67e pour la période du camp. Cette période a été pluvieuse : certaines journées n'étaient pas gaies du tout. Comme tous les officiers j'avais une tente à moi tout seul avec un ameublement comprenant antre autres choses un bon lit. Tous les officiers du régiment mangeaient à la même table.

Un dimanche j'allais faire une promenade à cheval avec un aide-major quand j'entends qu'on m'appelle. C'était le nouveau chef de service du 54e de Compiègne, le Dr …, mon ancien major de Calais. Nous avons parlé longuement, remué la cendre du passé. Il était arrivé de la veille à son nouveau régiment. Je l'ai revu avant mon départ du camp, très longuement. Quand j'irai à Compiègne je dois aller déjeuner avec lui. Il vient d'avoir son quatrième galon.

Ma première affaire en rentrant à Soissons ça a été de trouver une chambre. A force de rouler j'en ai trouvé une 11, rue Plock. C'est une des plus vieilles rues de Soissons, étroite, avec maisons inégales non alignées. Je suis cependant très bien. J'ai un grand salon et une grande chambre à coucher, pourvus de 3 fenêtres dont 1 porte-fenêtre donnant toutes sur un gentil petit jardin où je puis aller me promener. Mon salon est de plain-pied avec le jardin planté de plusieurs arbres et pourvu de plusieurs massifs de fleurs; C'est tout à fait chic. Je suis tout à coté de l'hotel de la Croix d'or ou se trouvent le cercle des officiers et la pension des lieutenants.

Vous me demandez ma malle. Je ne crois pas que ça vaille la peine de vous  l'envoyer. Outre qu'elle est à moitié cassée, il vaut mieux mettre en poids l'argent qui serait dépensé pour son envoi, ç-à-d- 1,50 pour la faire porter chez moi à la gare et dans les 3 f pour vous l'expédier en grande vitesse. Et puis il faudrait me la retourner ; ça n'en finirait pas. Je crois que vous pouvez fort bien vous tirer d'affaire avec ce qu'il y a à la maison. Je demanderai une huitaine de jours de congé à mon chef de service soit vers le 18 juillet soit au mois d'août. Mais je ne crois pas les avoir. D'autant plus que je ne suis pas au mieux avec lui. Il a un caractère de chien qui fait qu'il n'est bien avec personne. Il a des prétentions extraordinaires en tout qui lui font croire que tous les autres sont des ignorants ou des imbéciles. Aussi j'ai déjà eu plusieurs piques avec lui, surtout qu'il n'est pas infaillible ; c'est très amusant. Le premier jour où je l'ai vu, il m'a débiné son médecin à 3 galons, qui est charmant, d'une terrible façon. Au camp il y a eu une altercation effroyable entre lui et l'aide-major venu pour la période. C'est la guerre à coups d'épingle. Depuis 2 jours la chaleur est tombée. Nous avons un temps gris et pluviotant. On peut respirer un peu. Je souhaite un bon voyage à Maman : ah, les joies de la famille !

Je vous embrasse de tout coeur.

 

Dr Paul B.

(posté le 11-7-14) à Mr l'abbé J. B., vicaire à St Jean

Bien cher Joseph

J'ai attendu jusqu'à ce jour pour t'écrire afin de savoir les résultats de mon examen d'EOR ; je n'y suis pas reçu, je n'ai pas eu cette chance ; tant pis je n'en suis pas mort. Je me contenterai donc des galons de sergent et j'essayerai d'avoir un « filon » quelconque : vaguemestre.

Le temps est lourd et malsain.

Maurice         du 800

 

(suite le 3 août 2008 ...)

      

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13 juillet 2008 7 13 /07 /juillet /2008 11:27

 Le Samedi 6 septembre (commentaire de Thiaumont :  1913)

                      

Cher Paul

J'avais déjà commencé la lettre que je devais t 'envoyer, lorsque Joseph est arrivé ; le lendemain de son arrivée nous sommes allés à U., aussi n'ai je pu continuer la lettre. Mais nous voici de retour et je remets la plume à la main pour te narrer tous les détails de notre voyage et de notre séjour à Moras et autres lieux. De Sous-le Bois à Valence nous avons fait bon voyage et nous avons été assez heureux pour assister à une course de trains entre 2 rapides le nôtre et celui qui filait vers Nevers, sur une voie parallèle pendant près de 40 kilomètres. C'était une course vraiment magnifique ; tous les voyageurs étaient aux portières se mesurant, riant, criant comme sur un champ de courses. Les 2 trains pendant 10 minutes allèrent de pair, puis l'autre sembla prendre de l'avance ; Le mécanicien de notre machine, ne voulant sans doute pas se laisser devancer chauffa fortement, si bien que notre convoi rattrapa l'autre  et lui passa devant, notre train avait gagné ; mais ce fut superbe encore une fois et cela dura environ 20 minutes. Le train étant un rapide ne s'arrêta qu'à Laroche, Dijon, Macon, Chalon Lyon et Valence où nous arrivions à 4h1/2

Maurice

 

Reims, le 9 mars 1914

Bien chers,

Vite un mot pour vous renseigner. Je suis affecté  à l'école d'aviation civile où se trouvent également des élèves militaires ; c'est l'aérodrome de la champagne, l'ancien aérodrome de Perdussin. Je serai à 9 km de Reims. Heureusement qu'il y a un service de tracteurs automobiles militaires assez bien organisé. Par exemple cette école est en pleine organisation : on a édifié quelques baraques en bois pour loger les élèves sous-officiers. Mais elles sont d'une étroitesse incroyable. Ma chambre qui est une des mieux a exactement 2m50 de coté . Comme meubles juste un lit , une table, une chaise et un lavabo ; pas même une commode. Aussi je vais être forcé de louer une chambre en ville, ce qu'a du faire le médecin auxiliaire de l'école d'aviation militaire. Le mess est à la cantine. Tout cela est bien rudimentaire. Il a commencé à fonctionner aujourd'hui. Mon service ne sera pas dur du tout. Je devrai être présent à l'aérodrome aux heures de vol ç-à-d- le matin jusqu'à 8h et le soir à partir de 5h jusqu'à la nuit et voilà tout.

Pour ce soir j'ai du  me loger à l'hotel car ma chambre n'était pas prête. Je suis juste en face de la fameuse cathédrale que j'ai inspecté à la lueur d'un vague clair de lune. Je vous en parlerai une autre fois. Le temps est très doux ce soir. Beaucoup de gens se promènent sans pardessus. Reims à l'air d'une ville très agréable. Je la visiterai en détail.

Demain je me présenterai au Capitaine, chef de l'école d'aviation civile et au Médecin chef de service de l'aviation militaire. Je serai seul médecin à l'aérodrome civil.

Je vous embrasse

Dr Paul B.

Médecin auxiliaire

aérodrome de la Champagne

Reims

 

Commentaire de Thiaumont : le premier meeting aérien au monde avait  eu lieu à l'aérodrome de Reims-Betheny, en août 1909 

 

Epernay le 11 avril 1914

Mes biens chers,

Impossible d'avoir une permission pour Pâques. Aussi est-ce par lettres que j'envoie à Papa mes voeux de bonne fête. Je souhaite de tout coeur que sa santé reste excellente et que le bonheur devienne son compagnon habituel. Peut-être est-ce cette année que le gros lot arrivera. Esperons-le. Que de vicissitudes dans ma carrière militaire. Je suis un véritable oiseau voyageur. A Reims je n'ai guère fait qu'un mois de séjour. Ca a été un bon mois du reste. A l'école l'aviation, je n'avais pour ainsi dire rien à faire qu'à attendre les accidents. Comme chambre : 5 mètres carré meublés sommairement. Comme salle à manger un hangar d'aéroplanes où il faisait un froid terrible les premiers jours. Un bois à proximité pour faire la sieste et assez souvent un tour sur la piste pour voir voler les avions. Je suis allé 3 fois à Reims-à 8h de l'Ecole- et j'ai pu admirer la cathédrale qui est merveilleuse. Je vous engage à venir la voir quand vous disposerez de 48 heures. Du reste je retournerai de temps à autre à Reims qui n'est qu'à 30 K. d'Epernay.

A l'Ecole je suis monté en aéroplane une fois : le temps n'était pas souvent favorable. L'impression est bonne : néanmoins la première fois on est un peu nerveux. 4 jours après mon appareil se brisait à l'atterrissage d'un élève-pilote. Celui-ci s'en tirait indemne quoique plus mort que vif. Je vous envoie un souvenir de cet aéroplane.

Le 1er avril à 3h et demie a eu lieu l'accident de Vedrines. Aussitôt j'étais averti et j'étais transporté en auto sur le lieu de la catastrophe. Au premier coup d'oeil je vis qu'il n'y avait plus grand chose à espérer. Vedrines avait le crâne à moitié défoncé, les machoires et les membres brisés. Je lui ai fait plusieurs injections d'ether et de caféine par acquit de conscience. Comme je lui nettoyai la figure à l'ether, je donnai le flacon à un monsieur placé derrière moi qui me fit un signe de tête. Mais je ne prêtai pas attention. Plusieurs fois le manège continua. Enfin ayant fait transporter Vedrines à l'hôpital, je vis ce monsieur s'approcher et me dire qu'il venait de Maubeuge. Je reconnus aussitôt Mr D.. La rencontre n'était pas banale. Le lendemain matin il revint me voir et je lui fis visiter l'Ecole. 

Ce même 1er avril où je m'attendais à être nommé aide-major, je ne voyais rien venir ; le 2 rien non plus plus. Aussitôt j'écrivais à Chalons pour savoir ce qu'il en était : je pensais être black boulé. Enfin le 3 avril j'ai reçu ma nomination d'aide major de 2e classe de réserve pour prendre rang à partir du 1er. Le 4 avril je vais à Reims faire un tour lorsque j'aperçois un médecin auxiliaire qui se promenait. Je l'aborde et lui demande à quel corps il est attaché. « Je viens à l'Ecole d'aviation militaire remplacer Mr B. ». Jugez de ma stupeur. Il m'apprend que je dois le remplacer à Epernay au 9e dragons. En effet 2 jours après  je réservais mon changement. Je demande un sursis : refusé en raison du travail  et le 8 Avril au matin je pars pour Epernay où j'arrive à 9h et quart. Je me présente au major qui est très gentil et me met au courant du service. Il est seul pour la garnison composée du 9e dragons et de 3 compagnies du 54e d'Infanterie : de plus il est médecin de l'Hopital militaire.

Après les présentations nécessaires, je cherche une chambre en ville et je la prends 2, rue St Laurent, chez Mr C.. C'est une grande chambre à 2 fenêtres donnant sur la place Victor Hugo. J'y suis très bien; Coût : 30f. Je mange à la pression des lieutenants de dragons : des gens très chics, un peu gommeux. Le champagne sort assez souvent : le premier soir j'ai dîné au champagne. Comme service : tous les matins je vais passer la visite au 9e dragons à 7h1/2 : le quartier est à 2K de ma chambre, puis je vais au 54e d'Infanterie où je suis chef de service. En ce moment peu de travail : à 9h1/2 ma journée est finie. Le major va à l'Hopital. Aujourd'hui j'aurai mon ordonnance qui tous les matins et tous les soirs viendra dans ma chambre, brosser, cirer, astiquer : son plus gros travail sera les nettoyages de ma bicyclette. Quand j'aurai un cheval et que je saurai y monter convenablement, il l'amènera à ma porte. La semaine prochaine, je vais faire beaucoup de manège. Le temps passera somme toute agréablement.

Epernay est une jolie ville, très riche de 21.000 habitants. Beaucoup de belles maisons, châteaux ou villas : c'est le centre des vins de Champagne ; il y a ici Moët et Chandon, Vve Devaux, Mercier etc... Elle se trouve trouve sur la ligne Paris, Chalons, Nancy : aussi les communications sont-elles faciles. L'été on peut faire de belles promenades dans les environs.

Je pense rester ici jusqu'à la fin de mon service.

Vous pouvez envoyer en colis postal ce que j'ai encore de disponible comme linge de corps. A cela ajoutez rapidement encore 3 à 4 chemises de jour à acheter en toile-rayures diverses fines, 3 caleçons en toile rayée bleue-3 chemises de nuit blanc avec bordure rouge ou bleue-1 douzaine de mouchoirs blancs. Au besoin envoyez-moi une partie de la note. Mon linge s'en va en lambeaux.

A mettre dans le paquet, ma trousse de P.C.N.-mon réveil matin, mon costume vert, remis en état.

Il faut que je me tienne bien.

J'ai dû me commander une nouvelle tenue car la mienne commençait à être sérieusement fatiguée. Je l'étrennerai la semaine prochaine, si pour Quasimodo je puis aller à Maubeuge, je le ferai. Quant à ma tournée dans le midi c'est remis à la Pentecôte.

A bientôt de vos nouvelles. Je vous embrasse bien fort. Meilleurs souhaits à Papa.

Dr Paul

Médecin aide-major

9e Dragons

Epernay        Marne

ou 2, rue St Laurent, 2 chez Mr C.

 

Commentaire de Thiaumont : l'aviateur Vedrines avait battu le record de vitesse en avion en 1912 à 167,8 km/h. Apparemment il n'est pas mort dans cet accident, peût-être grâce aux soins prodigués par le Dr Paul, mais en 1919, dans un autre accident d'aéroplane à st Rambert d'Albon

  
     
                Un lien pour en savoir plus sur les "as oubliés" de l'aviation :
                http://asoublies1418.cosadgip.com/ link 

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10 juillet 2008 4 10 /07 /juillet /2008 13:20

Le 14-1-12-10 (commentaire de Thiaumont : lire 14 janvier 1912, 10h)


Chère maman,


Me voilà de nouveau rentré pour trois longs mois qui seront à n'en pas douter très froids. J'espère qu'ils passeront vite et bien et qu'en juillet prochain je réussirai au bachot ; ce sera un grand soulagement et un grand souci de moins. Dès mon arrivée lundi j'ai fait connaissance avec la neige, qui il est vrai n'est pas tombé longtemps ; ce sera pour une autre fois tout simplement. En arrivant chez moi j'ai trouvé quelques lettres et ton paquet dont je te remercie beaucoup. Cependant il y manque le livre de Fleury (recueil de devoirs français) qui me serait très utile et mon résumé de géométrie et d'algèbres où se trouvait tout mon programme de sciences. Si tu les trouvais, indique moi comment ils sont avant de me les envoyer, afin que je puisse savoir si ce sont eux pour éviter un envoi inutile. Regarde dans ma chambre, dans la chambre à damier et dans l'autre car ce sont des livres que me seraient d'une grande utilité si je les avais.

Aujourd'hui Dimanche je suis allé à un conférence de géographie très intéressante et suivie de nombreuses projections. Il s'agissait d'un voyage en Russie de Moscou à Constantinople.

Le jeudi, pendant deux heures, un élève vient chez Mr D. et nous travaillons ensemble; c'est un candidat au bachot comme moi, mais il est plus faible.

Dernièrement, hier, j'ai assisté à la revue des troupes de la garnison de Lille et à une remise de décorations. C'était un beau spectacle que de voir prés de trois mille hommes sur la grande place de la République en tenue de campagne et fusil sur l'épaule ; au milieu du carré formé par les troupes se trouvaient les décorés et ceux que le général gouverneur, Gallet allait décorer de la légion d'honneur. Avec cela musique, sonneries de trompettes et défilé des troupes chasseurs à pied, fantassins et chasseurs à cheval. Voilà pour le moment tout ce qu'il y a de nouveau ici.

Je t'embrasse de tout mon coeur.


Maurice



Le 30,4,12,10-1/4 S.(commentaire de Thiaumont : lire 30 avril 1912, 10h 1/4 du soir)



Cher Paul,


Je ne sais trop comment le temps passe, me voilà rentré depuis près de 15 jours et je n'ai pas écrit enfin... et d'ailleurs tu n'as pas l'air de bouger beaucoup toi aussi; j'espère que toi et moi nous allons réparer ce petit oubli. Et d'abord quoi de neuf à Lyon ? Que fais-tu, que prépares tu, quand comptes tu finir tes examens ? Etc etc.. De mon coté je travaille toujours dur, car voilà le bachot et j'espère que le succès répondra à mon attente, car je commence à en avoir plein le dos de grec et de latin !

A Lille il y a toujours du nouveau. L'éclipse d'abord. Elle a révolutionné tous les Lillois ; tout le monde vers midi était dans les rues,un verre fumée à la main et le nez en l'air, c'était pittoresque. Le temps, splendide ce jour là, nous a favorisé et moi-même je l'ai bien vue, dans toute sa plénitude ; on ne voyait qu'une faible partie du soleil, la lumière avait une teinte verdâtre curieuse et une vive fraicheur s'empara de la température, mais au bout de quelques instant, le phénomène était fini et tout reprenait son apparence ordinaire. Les courses ensuite, très fréquentées ne m'intéressent guère et j'y vais rarement. Enfin la capture de Bonnot : les journaux publiaient des éditions toutes les deux heures presque, donnant de nouveaux renseignements, sur la marche des événements. Enfin voilà un bandit de moins, il n'en reste plus que deux de vraiment dangereux, Garnier et Valet qu'il faudra bien prendre morts ou vifs tôt ou tard.

Aujourd'hui Mr Gussthau ministre de l'Instruction publique était à Lille ; je me suis passé de lui !!.

Védrines le populaire aviateur a fait une chute grave ; on espère le sauver ; hum, hum je ne sais pas ; notre organisme est si délicat qu'un rien le blesse, il peut avoir un déplacement du coeur comme l'infortuné Chavez et alors rien à faire, enfin qu'il se rétablisse pour son bien et celui de la France.

J'ai apporté mon vélo pour faire des courses le Dimanche dans les environs et en Belgique ; les chemins sont épatants il n'en n'est pas de même des rues de Lille, toutes pavées, où l'on saute à volonté. Ah je m'arrête et je t'embrasse de tout mon coeur, en attendant de tes très prochaines nouvelles.

Ton frère                          Maurice

1.rue Jeanne d'Arc 63




Lille ce 20 Octobre 1912


Cher Joseph


Je suis vraiment négligent depuis quelque temps, je le reconnais ; il a déjà longtemps que je devais t'écrire, mais, peu encouragé par les lettres des uns et des autres, qui sont très rares, j'ai reculé ce moment, qui se restreint d'autant plus que mon examen approche plus vite. Une semaine me sépare de cette lutte décisive pour moi, mais j'espère et je le pense bien, ce sera un succès qui cloturera admirablement bien cette année 1912 si bien remplie. Je suis convoqué pour le lundi 28 octobre 2 heures du soir ; de 2 à 4 je passe, avec d'autres bien entendu et vers 6 h je saurai à quoi m'en tenir ; je t'enverrai un mot immédiatement. Tu sais maintenant la malchance que nous avons eue. Paul d'abord versé à Lille puis à Calais.

Hier pour la première fois je l'ai vu en soldat et je t'assure que j'ai ri, mais si, oh là! Là!! voilà ; je suis allé le chercher à la gare samedi soir ; je l'attendais sur le quai à la sortie. Vers 7h1/2 plusieurs soldats du 8eme s'avancèrent vers la sortie, Paul en était, mais je ne le vis ou plutot je ne le reconnus pas. A trois pas de moi se tenait une sorte de réserviste petit et trapu qui me semblait attendre quelqu'un ; ce réserviste!!!, il en avait l'air, n'était autre que Paul ; quand je le reconnu j'éclatai de rire et il y avait de quoi. Il s'était laissé pousser la barbe, et quelle barbe !!! d'un noir d'ébène, courte et par conséquent, quoique fournie, laissant voir la peau de ci et de là, non quelque chose de laid « d'horribile visu »!!! m'écriais je en riant. Tous ceux qui le voyaient se demandaient ce que c'était que ce « poilu » (terme de régiment) et les jeunes filles riaient en le voyant. Figure toi un visage, déjà brun, recouvert d'un « gazon de poils » excessivement noirs, assez courts ; ce sera à peu près l'impression que cela m'a faite, un vrai colonial quoi !!! Le portrait que j'en ai fait est encore loin en dessous de la réalité, c'était comique !; en civil il ferait reculer les gens d'effroi et à la guerre il terroriserait une armée entière d'ennemi ; c'est pas peu dire !?! A part cela il est potable sous la calote bleue et le pantalon rouge ; une allure décidée, des gestes secs, une marche étourdissante, grâce à ses « godillots » ; la France ne craint rien avec de pareils soldats. Il m'a apporté du linge sale, et comment ! Nous avons eu la pluie tout le jour aussi nous n'avons pas pu visiter Lille à notre fantaisie ; le temps reste pluvieux et devient par suite frais et humide.

Paul sera peut être bientôt le médecin de la place de Calais, car le médecin-auxiliaire en place partira vers le 20 Novembre. De ce fait il sera bien logé et pourra avoir plus de liberté.

Je t'embrasse de tout coeur en attendant de tes nouvelles. 

Maurice

Note de Thiaumont : remarquez que le terme "poilu" existait déjà avant la Grande Guerre


Calais le 22 octobre 1912


Ma chère Maman,


Vous connaissez déjà par la lettre que j'ai envoyée à Papa, une partie de mes impressions de jeune soldat. Elles sont très très nombreuses et très variées ; il y aurait de quoi remplir des volumes. Tout est nouveau dans cette vie ; aussi faut-il pas mal de temps pour s'y habituer. Maintenant je commence à m'y faire. On nous a donné le fusil et la baïonnette le 12 octobre  : voilà de quoi astiquer, car il faut soigner ses armes comme la prunelle des yeux. Le 13, je suis sorti pour la 1ere fois à Calais. J'ai parcouru une partie de la ville avec deux camarades mais ce qui nous a surtout retenus c'est la mer. Elle est à quelques minutes de la caserne. C'est un plaisir de la regarder. La plage n'est pas très grande : environ 2 kilomètres sur 200 mètres. Il y a 2 ou 300 cabines pour les baigneurs ; il y a en effet une saison de bains assez courtes. A coté des cabines se trouve un casino. Nous nous sommes mollement couchés sur le sable et nous nous sommes amusés à regarder le vagues, les bateaux de pêche, les paquebots allant en Angleterre ou en venant. Comme nous avions toute l'après midi,nous sommes allés voir le village des barques à 2 kilomètres de Calais et sur le bord de la mer. C'est de là que Bleriot est parti pour traverser la Manche en aéroplane. Un petit mouvement rappelle cet exploit. Nous avons visité également le vieux Calais qui est le plus rapproché de la mer. C'est là que se trouve le port avec le chenal abrité par 2 estocades qui s'avancent en pleine mer. A l'extrémité des estocades, se dressent 2 petits phares et un plus grand est situé dans la ville. Il envoie paraît-il des faisceaux lumineux jusque sur les côtes anglaises.

Toute la semaine dernière s'est passée à faire l'exercice. Des marches au pas cadencé, des demi-tours, des à droite, à gauche etc...C'est alors qu'il faut entendre jurer, sacrer les sergents, adjudants. Notre sergent est un parisien très riche et assez gentil. N'empêche qu'il tempête comme un autre. Quand il n'est pas content, il nous fait faire du pas de gymnastique , grimper les talus à la coure. Il y a de quoi rester sur le carreau. Aujourd'hui nous sommes sortis pour la 1ere fois avec le fusil. On nous a appris à le tenir, à manoeuvrer et pour changer, on nous a fait bouffer du pas gymnastique, fusil à l'épaule, baïonnette au côté, cartouchières sur le ventre et dans le dos. Tout le monde soufflait comme des phoques. Ce qu'on barde en ce moment. Vivement que j'aille à l'infirmerie et que je devienne le médecin de la place de Calais. Dimanche dernier j'ai eu 24h, et j'en ai profité pour aller à Lille. J'ai vu Maurice qui ne passe son bachot que le 28. Il pense bien réussir. Nous avons passé ensemble la soirée du samedi et tout le Dimanche; nous avons visité Lille ; malheureusement le temps s'est mis à la pluie. J'y retournerai pour la Toussaint. Si on pouvait avoir 3 jours, ça serait parfait. Je suis le seul médecin venu ici : aussi je suis connu comme le loup blanc. Les sergents n'osent pas me dire grand chose car ils savent que je vais aller à l'infirmerie et qu'au bout d'un  an je serai adjudant. Alors ce sera le bon temps. J'ai reçu vos timbres : ça m'aidera toujours un peu. C'est incroyable ce qu'il faut d'argent surtout pour manger. Je vous embrasse

Dr P. B.



Dimanche vers 9h1/2 17 (mois ?) et lundi matin 18


bien chers,



Je ferai mon service cette année, par conséquent aucun sursis à demander ; très bien mais voici la question qui se pose ; faut-t'il prendre une inscription à la faculté de droit afin que, si cela a lieu, je puisse la 3e année de mon service aller dans une ville universitaire et entreprendre mon droit. Si non inutile d'en prendre, si oui prenez une inscription et dites bien que ce sera pour la 3e année du service et que je ne pourrais aller au cours avant 2 ans.

Si on a la faveur de la 3e année et qu'il n'y ait pas besoin de prendre d'inscription pour cela n'en prenez point.

Ecrivez au plutôt

Maurice

Pour les pièces à envoyer à la faculté

1.extrait de naissance (qu'à la faculté)

2. certificat du bachot (que j'ai, mais la faculté ayant mon nom cela suffira peut être)

3.autorisation des parents








 

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