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  • : Lettres de 3 frères poilus
  • : 3 frères, Maurice, Paul, Joseph, élevés dans une famille catholique et patriote qui ne roule pas sur l'or. Maurice passe son bac de philo en 1912, comme 7000 autres condisciples. Paul vient d'obtenir son Doctorat en médecine et part sous les drapeaux pour un service militaire normalement de 3 ans. Joseph est un jeune vicaire. Leur destin va basculer au cours de l'été 1914. Voici, semaine après semaine, leur correspondance de guerre. Que leur courage ne soit pas oublié.
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10 juillet 2008 4 10 /07 /juillet /2008 13:20

Le 14-1-12-10 (commentaire de Thiaumont : lire 14 janvier 1912, 10h)


Chère maman,


Me voilà de nouveau rentré pour trois longs mois qui seront à n'en pas douter très froids. J'espère qu'ils passeront vite et bien et qu'en juillet prochain je réussirai au bachot ; ce sera un grand soulagement et un grand souci de moins. Dès mon arrivée lundi j'ai fait connaissance avec la neige, qui il est vrai n'est pas tombé longtemps ; ce sera pour une autre fois tout simplement. En arrivant chez moi j'ai trouvé quelques lettres et ton paquet dont je te remercie beaucoup. Cependant il y manque le livre de Fleury (recueil de devoirs français) qui me serait très utile et mon résumé de géométrie et d'algèbres où se trouvait tout mon programme de sciences. Si tu les trouvais, indique moi comment ils sont avant de me les envoyer, afin que je puisse savoir si ce sont eux pour éviter un envoi inutile. Regarde dans ma chambre, dans la chambre à damier et dans l'autre car ce sont des livres que me seraient d'une grande utilité si je les avais.

Aujourd'hui Dimanche je suis allé à un conférence de géographie très intéressante et suivie de nombreuses projections. Il s'agissait d'un voyage en Russie de Moscou à Constantinople.

Le jeudi, pendant deux heures, un élève vient chez Mr D. et nous travaillons ensemble; c'est un candidat au bachot comme moi, mais il est plus faible.

Dernièrement, hier, j'ai assisté à la revue des troupes de la garnison de Lille et à une remise de décorations. C'était un beau spectacle que de voir prés de trois mille hommes sur la grande place de la République en tenue de campagne et fusil sur l'épaule ; au milieu du carré formé par les troupes se trouvaient les décorés et ceux que le général gouverneur, Gallet allait décorer de la légion d'honneur. Avec cela musique, sonneries de trompettes et défilé des troupes chasseurs à pied, fantassins et chasseurs à cheval. Voilà pour le moment tout ce qu'il y a de nouveau ici.

Je t'embrasse de tout mon coeur.


Maurice



Le 30,4,12,10-1/4 S.(commentaire de Thiaumont : lire 30 avril 1912, 10h 1/4 du soir)



Cher Paul,


Je ne sais trop comment le temps passe, me voilà rentré depuis près de 15 jours et je n'ai pas écrit enfin... et d'ailleurs tu n'as pas l'air de bouger beaucoup toi aussi; j'espère que toi et moi nous allons réparer ce petit oubli. Et d'abord quoi de neuf à Lyon ? Que fais-tu, que prépares tu, quand comptes tu finir tes examens ? Etc etc.. De mon coté je travaille toujours dur, car voilà le bachot et j'espère que le succès répondra à mon attente, car je commence à en avoir plein le dos de grec et de latin !

A Lille il y a toujours du nouveau. L'éclipse d'abord. Elle a révolutionné tous les Lillois ; tout le monde vers midi était dans les rues,un verre fumée à la main et le nez en l'air, c'était pittoresque. Le temps, splendide ce jour là, nous a favorisé et moi-même je l'ai bien vue, dans toute sa plénitude ; on ne voyait qu'une faible partie du soleil, la lumière avait une teinte verdâtre curieuse et une vive fraicheur s'empara de la température, mais au bout de quelques instant, le phénomène était fini et tout reprenait son apparence ordinaire. Les courses ensuite, très fréquentées ne m'intéressent guère et j'y vais rarement. Enfin la capture de Bonnot : les journaux publiaient des éditions toutes les deux heures presque, donnant de nouveaux renseignements, sur la marche des événements. Enfin voilà un bandit de moins, il n'en reste plus que deux de vraiment dangereux, Garnier et Valet qu'il faudra bien prendre morts ou vifs tôt ou tard.

Aujourd'hui Mr Gussthau ministre de l'Instruction publique était à Lille ; je me suis passé de lui !!.

Védrines le populaire aviateur a fait une chute grave ; on espère le sauver ; hum, hum je ne sais pas ; notre organisme est si délicat qu'un rien le blesse, il peut avoir un déplacement du coeur comme l'infortuné Chavez et alors rien à faire, enfin qu'il se rétablisse pour son bien et celui de la France.

J'ai apporté mon vélo pour faire des courses le Dimanche dans les environs et en Belgique ; les chemins sont épatants il n'en n'est pas de même des rues de Lille, toutes pavées, où l'on saute à volonté. Ah je m'arrête et je t'embrasse de tout mon coeur, en attendant de tes très prochaines nouvelles.

Ton frère                          Maurice

1.rue Jeanne d'Arc 63




Lille ce 20 Octobre 1912


Cher Joseph


Je suis vraiment négligent depuis quelque temps, je le reconnais ; il a déjà longtemps que je devais t'écrire, mais, peu encouragé par les lettres des uns et des autres, qui sont très rares, j'ai reculé ce moment, qui se restreint d'autant plus que mon examen approche plus vite. Une semaine me sépare de cette lutte décisive pour moi, mais j'espère et je le pense bien, ce sera un succès qui cloturera admirablement bien cette année 1912 si bien remplie. Je suis convoqué pour le lundi 28 octobre 2 heures du soir ; de 2 à 4 je passe, avec d'autres bien entendu et vers 6 h je saurai à quoi m'en tenir ; je t'enverrai un mot immédiatement. Tu sais maintenant la malchance que nous avons eue. Paul d'abord versé à Lille puis à Calais.

Hier pour la première fois je l'ai vu en soldat et je t'assure que j'ai ri, mais si, oh là! Là!! voilà ; je suis allé le chercher à la gare samedi soir ; je l'attendais sur le quai à la sortie. Vers 7h1/2 plusieurs soldats du 8eme s'avancèrent vers la sortie, Paul en était, mais je ne le vis ou plutot je ne le reconnus pas. A trois pas de moi se tenait une sorte de réserviste petit et trapu qui me semblait attendre quelqu'un ; ce réserviste!!!, il en avait l'air, n'était autre que Paul ; quand je le reconnu j'éclatai de rire et il y avait de quoi. Il s'était laissé pousser la barbe, et quelle barbe !!! d'un noir d'ébène, courte et par conséquent, quoique fournie, laissant voir la peau de ci et de là, non quelque chose de laid « d'horribile visu »!!! m'écriais je en riant. Tous ceux qui le voyaient se demandaient ce que c'était que ce « poilu » (terme de régiment) et les jeunes filles riaient en le voyant. Figure toi un visage, déjà brun, recouvert d'un « gazon de poils » excessivement noirs, assez courts ; ce sera à peu près l'impression que cela m'a faite, un vrai colonial quoi !!! Le portrait que j'en ai fait est encore loin en dessous de la réalité, c'était comique !; en civil il ferait reculer les gens d'effroi et à la guerre il terroriserait une armée entière d'ennemi ; c'est pas peu dire !?! A part cela il est potable sous la calote bleue et le pantalon rouge ; une allure décidée, des gestes secs, une marche étourdissante, grâce à ses « godillots » ; la France ne craint rien avec de pareils soldats. Il m'a apporté du linge sale, et comment ! Nous avons eu la pluie tout le jour aussi nous n'avons pas pu visiter Lille à notre fantaisie ; le temps reste pluvieux et devient par suite frais et humide.

Paul sera peut être bientôt le médecin de la place de Calais, car le médecin-auxiliaire en place partira vers le 20 Novembre. De ce fait il sera bien logé et pourra avoir plus de liberté.

Je t'embrasse de tout coeur en attendant de tes nouvelles. 

Maurice

Note de Thiaumont : remarquez que le terme "poilu" existait déjà avant la Grande Guerre


Calais le 22 octobre 1912


Ma chère Maman,


Vous connaissez déjà par la lettre que j'ai envoyée à Papa, une partie de mes impressions de jeune soldat. Elles sont très très nombreuses et très variées ; il y aurait de quoi remplir des volumes. Tout est nouveau dans cette vie ; aussi faut-il pas mal de temps pour s'y habituer. Maintenant je commence à m'y faire. On nous a donné le fusil et la baïonnette le 12 octobre  : voilà de quoi astiquer, car il faut soigner ses armes comme la prunelle des yeux. Le 13, je suis sorti pour la 1ere fois à Calais. J'ai parcouru une partie de la ville avec deux camarades mais ce qui nous a surtout retenus c'est la mer. Elle est à quelques minutes de la caserne. C'est un plaisir de la regarder. La plage n'est pas très grande : environ 2 kilomètres sur 200 mètres. Il y a 2 ou 300 cabines pour les baigneurs ; il y a en effet une saison de bains assez courtes. A coté des cabines se trouve un casino. Nous nous sommes mollement couchés sur le sable et nous nous sommes amusés à regarder le vagues, les bateaux de pêche, les paquebots allant en Angleterre ou en venant. Comme nous avions toute l'après midi,nous sommes allés voir le village des barques à 2 kilomètres de Calais et sur le bord de la mer. C'est de là que Bleriot est parti pour traverser la Manche en aéroplane. Un petit mouvement rappelle cet exploit. Nous avons visité également le vieux Calais qui est le plus rapproché de la mer. C'est là que se trouve le port avec le chenal abrité par 2 estocades qui s'avancent en pleine mer. A l'extrémité des estocades, se dressent 2 petits phares et un plus grand est situé dans la ville. Il envoie paraît-il des faisceaux lumineux jusque sur les côtes anglaises.

Toute la semaine dernière s'est passée à faire l'exercice. Des marches au pas cadencé, des demi-tours, des à droite, à gauche etc...C'est alors qu'il faut entendre jurer, sacrer les sergents, adjudants. Notre sergent est un parisien très riche et assez gentil. N'empêche qu'il tempête comme un autre. Quand il n'est pas content, il nous fait faire du pas de gymnastique , grimper les talus à la coure. Il y a de quoi rester sur le carreau. Aujourd'hui nous sommes sortis pour la 1ere fois avec le fusil. On nous a appris à le tenir, à manoeuvrer et pour changer, on nous a fait bouffer du pas gymnastique, fusil à l'épaule, baïonnette au côté, cartouchières sur le ventre et dans le dos. Tout le monde soufflait comme des phoques. Ce qu'on barde en ce moment. Vivement que j'aille à l'infirmerie et que je devienne le médecin de la place de Calais. Dimanche dernier j'ai eu 24h, et j'en ai profité pour aller à Lille. J'ai vu Maurice qui ne passe son bachot que le 28. Il pense bien réussir. Nous avons passé ensemble la soirée du samedi et tout le Dimanche; nous avons visité Lille ; malheureusement le temps s'est mis à la pluie. J'y retournerai pour la Toussaint. Si on pouvait avoir 3 jours, ça serait parfait. Je suis le seul médecin venu ici : aussi je suis connu comme le loup blanc. Les sergents n'osent pas me dire grand chose car ils savent que je vais aller à l'infirmerie et qu'au bout d'un  an je serai adjudant. Alors ce sera le bon temps. J'ai reçu vos timbres : ça m'aidera toujours un peu. C'est incroyable ce qu'il faut d'argent surtout pour manger. Je vous embrasse

Dr P. B.



Dimanche vers 9h1/2 17 (mois ?) et lundi matin 18


bien chers,



Je ferai mon service cette année, par conséquent aucun sursis à demander ; très bien mais voici la question qui se pose ; faut-t'il prendre une inscription à la faculté de droit afin que, si cela a lieu, je puisse la 3e année de mon service aller dans une ville universitaire et entreprendre mon droit. Si non inutile d'en prendre, si oui prenez une inscription et dites bien que ce sera pour la 3e année du service et que je ne pourrais aller au cours avant 2 ans.

Si on a la faveur de la 3e année et qu'il n'y ait pas besoin de prendre d'inscription pour cela n'en prenez point.

Ecrivez au plutôt

Maurice

Pour les pièces à envoyer à la faculté

1.extrait de naissance (qu'à la faculté)

2. certificat du bachot (que j'ai, mais la faculté ayant mon nom cela suffira peut être)

3.autorisation des parents








 

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