Tranchées de première ligne aux Eparges après la bataille ; collection Guide Michelin des champs de bataille
La crête des Eparges 90 ans plus tard ; ci dessous un trou de mine profond d'une dizaine de mètres
La convalescence de Maurice, qui avait presque repris une vie bourgeoise à Port Ste Marie est bel et bien terminée. Une courte permission lui est accordée qui va lui permettre de rendre visite à sa mère. Pendant ce temps Paul , le médecin, est mêlé à une "chaude affaire" aux Eparges dont la boue (et la souffrance que la possession de ce petit bout de montagne situé au sud de Verdun a engendré) est devenue un des symboles de la Grande guerre, notamment après la publication du livre de Maurice Genevoix.
Thiaumont
Le 26-2-15
bien cher Joseph
Me voilà sur mon départ. Je quitte l'hopital mardi prochain avec 15 blessés sur 18 que nous étions. Je pars avec mon camarade sergent comme moi et qui habite à Lyon. Donc nous voyagerons ensemble jusqu'à St Rambert. J'arriverai à Moras vers le 8 mars. Le temps devient beau. Quoi de nouveau à Bruyères ? Ecris à Moras.
Paul nous a enfin écrit ; ce n'était pas trop tot.
Je t'enverrai des cartes en cours de route si j'ai le temps. Je t'embrasse de tout mon coeur et te souhaite bonne chance.
Maurice
Mon meilleur souvenir à nos cousins N.
Le 1 mars 1915
Guéri. Le jour du départ approche ; je t'arriverai probablement vers le 8 mars. J'ai fait de nombreuses lettres et cartes. Le temps continue au beau, le printemps est proche. J'ai reçu une lettre de Renage et de Mr C.; l'oncle et la tante comptent sur notre visite, pendant mon court séjour. Comme tout le monde part, on va fêter le départ ; quelques personnes nous promettent de petits paquets gâteaux, linge etc. Allons à bientôt le grand plaisir de nous voir et de nous embrasser. Je t'embrasse de tout coeur.
Maurice
Ce 1er mars 1915 (adressée par Paul)
Mon cher Joseph, Je penses que tu as reçu ma dernière carte ; je te l'ai écrite à un moment où ça chauffait dur. Nous avons perdu assez le monde mais les Boches en ont perdu beaucoup plus : un officier boche prisonnier m'a dit que ses compatriotes ne battraient jamais la France unie à l'Angleterre, qu'ils ne pourraient jamais prendre Verdun mais qu'ils vaincraient la Russie. Dans cette affaire j'ai reçu des félicitations du Colonel et du Général pour avoir établi mon poste de secours à 100 mètres à peine de la ligne de feu. Nous avons eu un gros travail pendant plusieurs jours et plusieurs nuits pour l'évacuation des blessés et l'inhumation de morts du régiment. En ce moment nous avons repris notre petite vie d'autre fois ; tant de jours aux tranchées, tant au cantonnement. Tu as de la chance d'avoir une maison où tu es bien reçu : le temps doit te paraître plus court. Donne-moi de tes nouvelles : les lettres arrivent toujours. Je t'embrasse
Ce 1er Mars 1915
Mon cher Maurice, Je viens de recevoir ta lettre. Tu peux être rassuré sur mon compte : tous mes abattis sont encore intacts. Nous sortons d'une chaude affaire où nous avons fait boire un bon bouillon aux Boches, avec quelques pertes pour nous il est vrai. Ca a duré plusieurs jours et plusieurs nuits pendant lesquels nous avons nagé dans un océan de boue. Jusqu'au dessus des genoux. J'ai pu établir mon poste de secours à 100 mètres à peine de la ligne de feu : ce qui m'a valu les félicitations du colonel et du général. Nous avons eu beaucoup de travail, soit au point de vue évacuation des blessés, soit au point de vue inhumations rapides. Maintenant notre petit train train a repris : 4 jours aux tranchées, 4 jours au cantonnement. Je suis heureux de savoir que ton pied est remis : tu auras eu un bon repos en même temps. J'en aurais presque besoin aussi car voilà 7 mois que je me cramponne au Régiment. Donne moi de tes nouvelles. Je t'embrasse bien;
Paul
Ce 2 mars 1915
Mon cher Maurice
Je suis heureux de t'apprendre que je viens d'être cité à l'ordre du régiment avec le motif suivant : s'est prodigué pendant les journées du 19 au 23 février sans crainte de s'avancer à moins de 100 mètres de la ligne de feu.
Je suis même proposé pour une citation à l'ordre de la Brigade. C'est à propos de cette chaude affaire dont je t'ai parlé hier dans ma carte. Mon bataillon a fait de grosses pertes surtout en officiers. Il a été merveilleux d'entrain : on l'a félicité pour ses charges héroïques au plateau des E.....
Mon commandant a été tué ainsi que beaucoup de mes camarades. C'est triste mais on ne s'attarde pas, sinon la vie serait impossible.
Par ici on a demandé les noms des anciens E.O.R. ou candidats à l'examen pour les nommer sous-lieutenants. Si tu rentres à ton régiment, tu pourras le devenir assez facilement : tu seras mille fois fois mieux que sergent. Ton hospice va toujours fort à ce que je vois ! La vie te paraît rose loin des balles et des obus. On saura l'apprécier après la guerre. Je vais écrire à F., prisonnier à Ingolostadt (?) : il paraît qu'on les fait mourir de faim. Oh ! Quand les crèvera t'on tous ! Je t'embrasse.
Ecris souvent et longuement
Paul
Prochain article vers le 15 mars
Deux liens sur la bataille des Eparges :
http://www.memorial-de-verdun.fr/pdf/pedagogie/textes_lettres_genevoix.pdf
http://chtimiste.com/batailles1418/combats/1915eparges.htm