Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Lettres de 3 frères poilus
  • : 3 frères, Maurice, Paul, Joseph, élevés dans une famille catholique et patriote qui ne roule pas sur l'or. Maurice passe son bac de philo en 1912, comme 7000 autres condisciples. Paul vient d'obtenir son Doctorat en médecine et part sous les drapeaux pour un service militaire normalement de 3 ans. Joseph est un jeune vicaire. Leur destin va basculer au cours de l'été 1914. Voici, semaine après semaine, leur correspondance de guerre. Que leur courage ne soit pas oublié.
  • Contact

Archives

20 avril 2011 3 20 /04 /avril /2011 17:43

La-Piave.png

 

 

Voici venu la fin de cette correspondance de guerre et donc de ce blog. Paul exposa sa vie  et soigna les blessés jusqu'aux derniers jours du conflit puiqu'il participa à la bataille victorieuse de Vittorio Veneto (parfois appelée 3e bataille du Piave contre les Autrichiens http://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_du_Piave , au sein de 2 divisions françaises, épaulant 51 divisions italiennes. Les Autrichiens capitulèrent peu après. Joseph retrouve ses parents et sa soeur Yvonne à Maubeuge : il ne les avait pas vu depuis 4 ans ! Paul resta mobilisé un an de plus. Après la guerre, malgré son expérience acquise durement dans les tranchées, il dut renoncer à son rêve d'être chirurgien (n'étant pas en mesure de passer le concours de l'Internat) et s'installa comme médecin généraliste dans la Drôme. Il mourut à 86 ans, et raconta  "Sa guerre" uniquement à la fin de sa vie. Ses carnets de guerre n'ont pas été retrouvés. Quand à Joseph, il vécut jusqu'à 81 ans. Il fût un prêtre trés apprécié de plusieurs paroisses de la Drôme.

La mémoire de Maurice reste vive dans sa famille. La médaille de la ville de Verdun lui a été attribuée il y a 2 ans grâce aux démarches de sa petite nièce et de son mari.

Je termine ce blog, juste après avoir relu "Ceux de 14" de Maurice Genevoix.  La souffrance et le dévouement de tous ces jeunes hommes fût réellement surhumains. J'espère avoir, à ma modeste mesure, contribué à maintenir l'indispensable souvenir de leur sacrifice et de leur courage. Merci pour vos encouragements et d'avoir "fait vivre" ce blog en lisant ces lettres.

Thiaumont

 

 

  Le 12 novembre 1918

Ma chère Maman, voici finalement la guerre arrêtée. Quel soulagement, et pourtant la nouvelle nous a laissés calmes étonnamment. Nous sentions tous depuis quelque temps que c’était la fin et nous nous y préparions. La Bulgarie avait lâchée, la Turquie a suivi ; nous avons décidé l’Autriche en 5 jours de bataille à suivre le mouvement. L’Allemagne, seule, était condamnée à une fin prochaine. Elle cède, elle est battue, ouf !!! quelle joie. Nous désirons tous fouler le sol boche quelque temps au moins. Cela viendra sans doute et bientôt. Pour le moment nous sommes au repos dans la plaine vénitienne, après les exploits du 107è et de la 23è division.

C’est dans la nuit du 26 au 27 octobre que le régiment est parti pour l’attaque. L’opération que nous avions à faire a été peut-être unique dans cette guerre. Il fallait franchir de vive force face à l’ennemi, un torrent rapide dont le lit a plus de 1500 mètres de large et cela au pied de montagnes qui ont 600, 1200, et 2000 mètres d’altitude, montagnes d’où l’ennemi nous surveillait. Ce torrent était le Piave. Le pont construit par le génie sur le bras principal du fleuve, sous le feu de l’ennemi ne put être achevé qu’à 2 heures du matin au lieu de minuit heure prévue. A 2H le 107è commence à passer montré du doigt par les projecteurs ennemis.

Aussitôt commence le bombardement, le feu des mitrailleuses. On continue à passer. C’est d’un tragique impressionnant. Tout est noir sauf la passerelle éclairée par les projecteurs : les obus tombent, éclatent, projettent des gerbes d’eau, de pierres, de fumée ; les balles sifflent.

On continue à passer : plusieurs tombent et se noient ; des blessés crient, des soldats hurlent à moitié fou. Chacun se dit : pourvu que le pont ne soit pas coupé par les obus ! quand je passe

J’ai 6 brancardiers blessés par un gros obus ;  je continue mon chemin le reste suit. 

Je me rappellerai longtemps ce passage du pont, sous l’œil puissant de 2 projecteurs. Après le pont, il faut passer à gué 2 gros bras du Piave avec de l’eau jusqu’au ventre. Enfin on arrive de l’autre coté : alors autre sérénade : c’est l’inconnu, c’est la grève parsemée de taillis dominée de toutes parts par les montagnes où se terrent les mitrailleuses, les mortiers,  les canons. Il faut aller de l’avant, à la boussole sous un déluge de balles, parmi des éclatements d’obus. On avance quand même. Il est près de 4H du matin quand tout à coup résonne le clairon. C’est le 2ème bataillon, le mien qui à 300 mètres de moi monte à l’assaut de la falaise au son de la charge. Une falaise de 80 mètres presque à pic. Quelle minute ! La falaise est prise aussitôt. L’ennemi recule.

J’arrive au pied de la falaise, j’apprends que le médecin chef vient d’être écrasé par un obus ; le commandant du bataillon est blessé ainsi que plusieurs officiers de mon bataillon. Les blessés commencent à défiler. Je commence à travailler mais le jour s’approche et il faut que je trouve un abri au moins contre les vues car dans cette étroite vallée tout à l’heure l’Autrichien verra tout et pourra tuer à son aise. Et avec le jour commence une situation étonnante. De l’autre côté du Piave, du côté autrichien seul avait pu passer un régiment français et quelques compagnies italiennes. Au petit jour le pont était coupé par le bombardement, et alors il en est résulté que le 107éme devait tenir envers et contre tout pendant un jour et une nuit. Et presque plus de munitions, et pas moyen de bouger car l’ennemi de ses montagnes nous voyait comme à bout de bras.

La journée du 27 et la nuit du 27 au 28 resteront historiques pour le 107ème. Pendant ces 24H ce régiment est resté cramponné à sa falaise ou tapi dans la vallée, avec le Piave dans le dos à 800 mètres, sans broncher sous le bombardement, la mitraillade, les contre attaques.

On nous considérait comme perdus en haut lieu, parait-il. La nuit suivant le 28 ; le pont était refait, d’autres troupes pouvaient passer. La brèche était faite, le front ennemi était crevé.

Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur les journées du 28 et 29 mais il faudrait un volume à 3 francs 50.

Je raconterai le reste en permission. Je vous embrasse, chère maman, votre fils Paul.

 

 

 fin-de-la-guerre.jpg

 

La Grande guerre est finie !

 

VictoireArcTriomphe

 


Le 23 nov 1918

 

Bien chère Maman

 

J'arrive de Maubeuge; Je suis parti le 14 dans l'après midi et par St Quentin j'ai pu gagner avec des trains de ravitaillement la gare de Bohain. De là j'avais encore 60 kilomètres que j'ai parcouru soit à pied soit en auto. Bref le 15 au soir je surprenais Papa et Yvonne qui étaient couchés. Vous jugez de leur surprise et de leur joie. Ils vont bien l'un et l'autre. Yvonne était quelque peu grippée mais ça allait mieux. Vous devinez que je leur ai donné des détails sur notre vie depuis 4 ans, sur la mort de Maurice etc, etc. De leur côté ils m'ont raconté leur vie durant l'occupation allemande. Ils n'ont heureusement pas trop souffert, à ce point de vue ils ont été privilégiés car les Boches ont été ignobles dans le traitement infligé aux populations. Ils ont conservé leur mobilier au moins en partie car il a fallu livrer lits, matelas, linges (?) etc. Ils n'ont pas trop souffert de la faim. Maubeuge et ses environs n'ont pas été trop abimés par les obus. C'est heureux. J'ai revu les Y., F. (?), D., T., M. (?), ?, les Y.etc. Tout le monde m'a reçu fort bien. Comme j'étais dans la région le 1er soldat français qu'on voyait depuis 4 ans, on m'a fait fête partout où je passais. Je n'ai rien de Paul depuis le 2 nov. Le service postal marche mal depuis que nous nous déplaçons. A bientôt. Je vous embrasse

Joseph

 

 

 

 

 Paul fut démobilisé le 31 décembre 1919

 

Lyon le 1 juillet 1919

 

Mon cher Joseph, Le Colonel du 48e RI me fait savoir que le maréchal de France commandant en chef a conféré à la date du 12 juin 1919, la médaille militaire à Maurice, avec le motif suivant :

« Sous un violent tir de mitrailleuses, a enlevé brillamment sa section à l'attaque ; atteint de multiples blessures dont plusieurs mortelles, a fait preuve d'un grand courage. S'était déjà distingué au cours d'une attaque précédente. »

Le Colonel me dit de m'adresser au Dépôt du 48e. C'est ce que je fais aussitôt.

 à la Faculté de médecine, est posée une affiche indiquant qu'un bon poste médical est libre à St Jean. Il y a des amateurs, paraît-il.

Je t'embrasse bien fort

Paul B.

 

 


Ainsi finit cette correspondance des 3 frères poilus

 

Partager cet article
Repost0
20 mars 2011 7 20 /03 /mars /2011 22:21

aumonier militaire 

Un aumonier militaire de la Grande guerre

(photo issu du site http://pages14-18.mesdiscussions.net )

 

Déjà presque 4 ans de guerre sans répit (à part quelques courtes permissions) pour Joseph, l'aumonier-infirmier et surtout Paul, médecin-major qui a échappé plusieurs fois miraculeusement à la mort et à la capture contrairement à son jeune frère Maurice, mort à Verdun.

Dans cette série de lettres, qui précèdent "l'épilogue", les références religieuses sont omniprésentes. En filigrane transparait l'idée que l'affaiblissement (déjà !) des valeurs chrétiennes  en France est responsable de l'absence de victoire de notre camp et qu'une intervention divine est indispensable.

Thiaumont

 

Ce 27 Décembre 1917

 

reçois par la présente, mon cher Joseph, mes meilleurs voeux de bonne année. Il était difficile de prévoir au début de 1917, que l'année se terminerait sans la guerre. Et même 1917 finit dans des circonstances pénibles pour nous. Espérons, car il faut toujours espérer que l'an nouveau verra finalement notre victoire et la paix. Ce n'est pas sûr, mais quoi, toute a une fin même la guerre et la guerre est toujours la boîte à surprises. Souhaitons que ses surprises soient désormais heureuses. Avec quel plaisir, quel soulagement, chacun reprendra sa tâche d'avant la guerre et comme on sentira alors tout le prix de la vie. En attendant que ce rêve se réalise, je te souhaite bon courage et grande patience ; bonne santé et bonne humeur. J'espère que ta grippe est terminée ; moi-même j'ai été grippé une douzaine de jours mais maintenant c'est fini ; Le froid est assez vif, mais c'est un froid sec et supportable. Dans la journée, je puis profiter assez souvent d'un bon soleil qui chauffe un peu. Tu ne me parles pas de tes négociations avec Mr F.. Pour l'arrangement de la maison il faudra y venir toujours et je crois que  le plus tôt sera le mieux. Je reçois bien le journal « La Croix » mais les numéros sont déjà vieux quand ils arrivent. C'est toujours une distraction. Bonne année 1918.

Je t'embrasse     Paul

 

 

 

Le 27 dec 1917

 

Mon cher Paul, Ta lettre du 18 m'arrive aujourd'hui. Elle me trouve toujours dans le même coin assez bien installé puisque j'ai une bonne chambre à l'hopital où je dis ma messe, où je vais passer mes soirées, où les soeurs sont aussi petits soins pour moi. Je t'ai dit en effet que nos batteries sont en position dans la montagne et très éloignées les unes des autres. Je reste donc dans la vallée à l'échelon, je vis en popote. Je ne suis donc pas trop mal pour le moment ; nous avons de la neige et du froid mais je parviens encore à me préserver. J'ai cependant quantité d'engelures. Avec l'aumônier  du parc (?)  d'artillerie qui loge aussi à l'Hopital nous organisons chaque dimanche nos offices. Pour Noël nous avons eu une messe de minuit dans une salle de l'usine où nous sommes cantonnés. Le directeur, les employés, tout le monde s'est prêté à la décoration de la salle qui était magnifique. C'est moi qui ai dit la messe, mon confrère a prêché et tenu l'harmonium. Nous avons eu aussi de très beaux offices à l'hopital. Reçois-tu les journaux que je t'adresse. Maman a du te dire que ma demande à Mr F. avait abouti cette fois-ci. J'écrirai prochainement à G... Avant de clore ma lettre, je t'adresse mes voeux les plus affectueux et je t'embrasse bien

Joseph

 

Ce 31 déc 1917

 

Mon cher Paul

 

Je viens de recevoir tes voeux et je t'adresse aussitôt les miens. Il est vraiment triste d'être encore en guerre en 1918 mais  ce qu'il y a de plus triste c'est qu'on ne se soit pas tourné franchement vers celui qui peut seul arrêter ce cataclysme. Je demande pour la France la paix, et pour Dieu la victoire. Je crois rester ainsi dans la note vraie. A toi, dont les sentiments sont profondément chrétiens, je souhaite  la santé afin que tu puisses dès maintenant par tes sacrifices et plus tard par ta mission contribuer à ramener  en notre pays le règne de Dieu, seul gage de victoire. Notre fête de Noël s'est très bien passée. J'ai dit la messe à minuit dans une salle de l'usine où nous nous cantonnons. Les patrons l'avaient magnifiquement décorée. A l'Hopital nous avons eu aussi de beaux offices. Hier je suis allé visiter l'état major et la 27e Batt en position. Aujourd'hui j'ai dit la messe de 9h et prêche à l'Hopital Belle assistance. Je réside toujours à l'échelon. Grâce aux soeurs de l'Hopital je suis fort bien. Bonne année, sainte année et à bientôt la fin de nos calamités et le retour chez soi. Je t'embrasse bientôt.

Joseph

 

Ce 11 janv. 1918

 

Mon cher Paul

 

Je viens de recevoir ta lettre du 4. En ce moment il y a du retard dans les correspondances. Après le froid très vif que nous avons eu dernièrement la neige est tombée en abondance, les trains et les voitures sont bloqués en beaucoup d'endroits. On dit que le tunnel de Brissang (?) est obstrué ; la poste n'a pas pu encore arriver aujourd'hui. Les ravitaillements dans la montagne se font très difficilement. On se sert de traîneaux. C'est en traîneau que je suis allé visiter une batterie. J'arrive de cette course et t'écris avant de rejoindre mon lit à l'Hopital. Je suis toujours aux petits soins chez les soeurs. Le soir en arrivant on m'offre des pantoufles, on bassine mon lit, on cire mes souliers tous les jours. Hier on m'a proposé de prendre un bain complet, je m'en suis très bien trouvé. Le matin après ma messe un bon déjeuner  et très souvent de petites douceurs dans la journée. Vraiment je suis bien ici et je ne demande pas à quitter le secteur. Je ne crois pas que les villes dont tu parles aient été évacuées. On dit bien qu'il faut se tenir prêt à parer une grosse offensive mais on a pas encore pris de pareilles mesures. Je crois que Mr F. a remis 200 francs à Maman. J'ai écrit à Guingamps, j'attends la réponse.  À l'HOE de Bruyères, il a passé paraît-il un soldat qui t'a connu. J'ai dit hier aux soeurs que j'avais la croix de guerre. Aussitôt on a sorti vin, gateau et bonbons pour fêter la décoration. A bientôt de tes nouvelles ; je t'embrasse de tout coeur.

Joseph

 

 

Ce 4 février 1918

 

J'ai reçu tes 2 cartes-lettres, mon cher Joseph, dans lesquelles tu me parles de ta prochaine permission. Je ne sais si nous pourrons nous rencontrer à Moras. Depuis une huitaine de jours, nous sommes en ligne et par suite le taux de permissions a été abaissé. De plus la longueur du voyage augmente la durée d'absence de chaque permissionnaire, ce qui augmente l'attente du suivant de tour. Un médecin est en ce moment en permission et rentrera dans une douzaine de jours ; un autre soit partir avant moi encore, ce qui me retarde de vingt autres jours environ. Ainsi je ne compte guère pouvoir partir que au début de mars.

Tous ces contre-temps sont fort regrettables mais qu'y faire ? Le tour de permission est une chose intangible, comme tu le comprends. La permission et le pinard, c'est sacré.

Si tu pars bientôt, je te souhaite un bon repos surtout moral, car au physique tu as l'air d'être content de ta vie actuelle. Bon accueil, bon gîte, bonne table là où tu es, c'est parfait. Pour nous, notre repos est terminé depuis plusieurs jours. J'ai un poste de secours dans une maison abandonnée, assez confortable, mais malheureusement pas à l'abri des obus. Et ceux-ci commencent à tomber dans mon rayon. Le temps est toujours merveilleux ; il fait très chaud dans le milieu du jour. Nous commençons à faire la sieste. Je t'embrasse bien fort.

Dr Paul B.

 

Dernières lettres et épilogue vers le 20 avril...Paul se battra jusqu'aux derniers jours.

 

 

Partager cet article
Repost0
18 février 2011 5 18 /02 /février /2011 22:01

guerre-des-sommets.jpg

 

Sur le front italien, la fameuse guerre des sommets, trés dure pour les combattants soumis à des conditions extrême  a paradoxalement été à l'origine d'un loisir trés populaire actuellement : la via ferrata, utilisées à l'époque pour acheminer les soldats dans les coins les plus reculés...

  

 

En cette fin d'année 1917, les événements se précipitent, notamment pour Paul, toujours médecin major malgré ses 3 ans de guerre et qui évoque son retour "en ligne". Son allusion à l'utilité du latin permet de deviner, malgré la censure, qu'il fait route vers l'Italie, bousculée en cette 3e année de guerre par les Autrichiens. En France l'offensive (ou plutôt la boucherie) du Chemin des Dames a pris fin en juin, ce qui laisse un bref répit aux combattants. Joseph, le vicaire,  a intégré un régiment d'artillerie, et quitte ce secteur du Chemin des Dames pour l'Alsace, considérée comme beaucoup plus calme. Plus d'un an s'est écoulée depuis la fin tragique  de leur jeune frère Maurice à Verdun.

Thiaumont

 

Le 28 septembre 1917

 

te voici de nouveau en secteur, mon cher Joseph, après un bon repos, il est vrai. La transition a dû être dure, je n'en doute pas mais enfin on se fait à tout. J'ai appris avec plaisir que tu avais été bien reçu chez les châtelains de Fontaine les Corps. Il est heureux qu'à l'arrière il y ait des gens aimables pour faire oublier très vite les mauvais moments de cette guerre. Pour moi, je suis aussi en ligne avec mon bataillon, depuis le 20 septembre et nous y resterons au moins jusqu'au 2 octobre, date à laquelle nous aurons un petit repos de six jours. Ce repos nous le prendrons dans des baraquements en plein bled, situés pas très loin des lignes et à bonne portée des canons Boches. Voilà le sort qui nous est réservé pour de longs mois, selon toute vraisemblance. Je suis tombé dans un corps d'armée d'occupation et d'organisation de secteur et non d'attaque comme le VI e corps, ce qui fait que nous restons des semaines et parfois des mois entiers en tranchées sans aller à l'arrière. Chaque situation a toujours ses bons et mauvais côtés. Le P.S. D'où je t'écris, est pourvu par exemple de l'éclairage électrique. Au poste de colonel, il y a une coopérative qui est assez bien pourvue; Ce sont les petits avantages de notre séjour en ligne. A côté de la coopérative se trouve un établissement de douches qui fonctionne tous les jours.

Le secteur est un peu agité depuis quelques jours, par suite des coups de main que nous avons fait chez les boches. Ils veulent sans doute prendre leur revanche. Ils déclenchent par moments des tirs effroyables d'obus, et d'énormes torpilles qui bouleversent tout. De notre côté tirs de barrages de 75 et de mitrailleuses. Peu de blessés pour le moment et pas de morts. Nos poilus savent s'enterrer. Ce qui nous tient le plus en éveil c'est une attaque par le gaz qu'on pressent depuis longtemps. Nous avons déjà détruit plusieurs fois les installations à gaz d'en face, mais les boches ont l'air  d'y tenir. Et d'après des renseignements de prisonniers et de déserteurs, ce serait de nouveaux gaz très toxiques et filtrant plus ou moins à travers nos masques. Aussi se tient t'on sur les gardes.

Je pense prendre ma permission fin octobre, dans un mois sans doute. Si tu peux faire coller ta permission avec la mienne, ça ira bien. A bientôt de tes nouvelles.

Je t'embrasse bien fort.

Dr Paul B.

 

Ce 17 novembre 1917,

Mon cher Joseph, j'attends une lettre racontant ta permission par le menu, tes voyages, tes visites. Tu es certainement de retour à ton groupe ; j'espère que l'as trouvé au repos. La transition en sera moins dure. Tu ne m'as jamais parlé de ta situation: j'aimerais à en connaître le texte. Il ne faut pas exagérer la modestie. Pour nous la situation a changé du tout au tout. Nous avons quitté notre lieu de repos depuis plusieurs jours et bientôt sans doute nous serons engagés dans une affaire plutôt chaude. Je t'écris dans l'auberge d'un petit village où certes je ne pensais jamais venir de ma vie. Le temps est d'été ; dans notre déplacement on nous a donné des roses, des oeillets, des héliotropes, des chrysanthèmes. On ne se croirait jamais au mois de Novembre. Si nous pouvions avoir ce temps là pendant tout l'hiver, ce serait merveilleux. Le commandant de ton groupe est-il gentil ? Je crois qu'il est protestant. Comment s'appellent les médecins de ton groupe ? Je les connais peut-être. Fais-tu toujours partie de la Division Brissaud Desmaillet ?

Je t'embrasse bien fort

Dr Paul B.

 

Ce 10 Décembre 1917

 

Mon cher Joseph, tes cartes-lettres et les semaines religieuses m'arrivent rapidement malgré la distance. Tu me demandes où je suis, alors que tu sais fort bien que je ne puis le dire. Du reste tu as du le deviner. La censure fonctionne toujours et de temps à autre il y a une exécution. Le pays où nous sommes est très beau. Nous nous sommes rapprochés des montagnes, ce qui nous vaut un refroidissement marqué de l'atmosphère surtout la nuit. Aussi j'ai attrapé un bon rhume depuis plusieurs jours. Je puis un peu me soigner car nous sommes au repos, prêts pourtant à une alerte soudaine. Nous roulons depuis une douzaine de jours de village en village ; c'est une vie de bohémiens qui a plus d'inconvénients que d'avantages. Mais je ne me plains pas ; nous voyons un tas de choses nouvelles fort intéressantes. Beaucoup de vin partout et du bon, aussi le poilu est content ! Les gens n'ont pas l'air malheureux du tout et sont aimables. Mais il faut arriver à se comprendre. Pour une fois le latin me sert à quelque chose. Si tu achètes chaque jour un journal, tu devrais bien me l'envoyer. Je ne sais plus ce qui se passe. Je t'embrasse bien fort

Dr Paul

 

Ce 18 décembre 1917

 

Mon cher Joseph, j'ai reçu ta carte lettre où tu me dis que tu es en route pour l'Alsace. C'est je crois une chance pour toi car l'Alsace est coté comme secteur tranquille et il fait bon vivre. Du reste tu as gardé un bon souvenir des quelques jours que y as passés au début de l'année. Pour moi, je suis dans une petite ville placée auprès de hautes montagnes couvertes de neige. Cette ville a l'air vieillot : Rigoles se trouvant dans le milieu des rues qui sont étroites, tortueuses ; maisons d'assez bon aspect avec quelques arcades, mais peu confortables l'hiver. Les églises sont immenses ici, neuves pour la plupart mais sans caractère artistique. Elles ne valent pas nos églises de France qui ont beaucoup de cachet. Le froid est venu ; avant-hier il est tombé un peu de neige ; mais c'est supportable. Les journaux commencent à nous arriver, bien qu'avec du retard. Si tu achètes l'Echo de Paris, envoie le moi après l'avoir lu. Qu'as tu décidé avec Mr F. ? As-tu écrit pour avoir la croix de guerre de Maurice et le diplôme des enfants morts pour la Patrie ? Il faudrait qu'on nous envoie cela : ce sont des souvenirs. Je t'embrasse très fort.

Dr Paul B.

 

Le 18 décembre 1917

 

Mon cher Paul

 

J'ai reçu ta lettre du 10 déc et je te réponds aussitôt. Nous avons quitté la Hte saône et par les Vosges nous avons gagné la province patrie de maman. Il n'y fait pas très chaud mais tout le monde préfère ce secteur à celui de l'Aisne. Les gens sont très sympathiques et très accueillants. Je me plais bien dans ce pays où l'on trouve encore beaucoup de foi. Il a fallu quitter l'excellente dame E. qui m'a si bien soigné. Tout le long de nos étapes j'ai trouvé un asile dans les cures et je ne puis que me féliciter de l'accueil  qui m'a été fait. Ici on nous a cantonnés dans une usine, je loge moi-même dans un hopital où les soeurs ne savent que faire pour m'être agréables. J'ai un bon lit et après ma messe chaque matin. On m'offre un excellent déjeuner. Nos batteries  sont déjà en possession mais comme elles sont très distantes les unes des autres je resterai probablement ici où je me trouve mieux placé pour aller les voir. Je suis heureux d'apprendre que tu es content ; j'espère que tu échapperas à tout accident. Je t'enverrai régulièrement mon journal La Croix, il est fort intéressant et il y a de beaux articles. Tu sauras au moins ce qui se passe. A bientôt de tes nouvelles. Je t'embrasse de tout coeur. Joseph

 

aumonier au 240 d'Art 3e Groupe Sp 190

 

 

Prochaines lettres vers le 20 mars...

Partager cet article
Repost0
16 janvier 2011 7 16 /01 /janvier /2011 21:20

Depuis que Maurice , le plus jeune des 3 frères est  mort à Verdun fauché par un obus devant la redoute de Thiaumont, les lettres deviennent plus rares. Paul, médecin, qui a connu les tranchées pendant presque 3 ans, est à présent dans un hopital de campagne dans l'Oise près de l'Etat Major. il peut souffler un peu mais vit dans des conditions précaires. Il évoque sa permission récente dans le pays du Royans, en Drôme ainsi que le sort de son père et de sa soeur Yvonne bloqués à Maubeuge (leur mère étant en zone non occupée). Il écrit à son frère Joseph, vicaire-infirmier, qui, après avoir été longtemps dans les Vosges dans  un régiment de chasseurs alpins, vient de rejoindre un régiment d'artillerie. Où l'on se rencontre qu'un prêtre peut en théorie devenir un combattant ordinaire...

Thiaumont

 

chemin-des-dames-vue-aerienne.JPG

vue aérienne du chemin des Dames ; à gauche étaient les tranchées  d'où partaient les assauts français vers la butte maudite : ce fut une effroyable boucherie.

 

 

Ce 23 juillet 1917

 

J'ai reçu ta carte lettre avant hier mon cher Joseph. Tu as eu un assez bon repos et dans des conditions fort glorieuses pour la division alpine. Maman m'a dit que tu avais pu voir Madame L. ; tu as eu ainsi tous les détails possibles sur Papa et Yvonne. Tu auras remarqué comme moi que Madame L. n'avait pas trop mauvaise mine et qu'elle n'était pas trop déprimée bien que la vie à Maubeuge fût pénible bien avant son départ. Ca m'a donné bon espoir pour Papa et Yvonne. Il est vrai que plus la guerre durera, plus seront rigoureuses les conditions d'existence en pays occupés. Enfin à la grâce de Dieu.

Le père D. est mort depuis plusieurs mois. Madame Y. est reprise de son ancienne neurasthénie ; elle ne parlerait plus ou presque, malgré les efforts de son entourage pour la faire sortir de son mutisme.

Notre hôpital est en plein déménagement. Aujourd'hui on démonte les baraques. Beaucoup de choses sont emballées. Tout le matériel doit être expédié sur l'hôpital n°11 à Ognon. C'est un petit village de l'Oise, à 8 km environ de Senlis et à une quinzaine d'ici. Ce n'est pas loin. On n'a pas encore d'ordres pour le personnel. Irai-je à Ognon ou ailleurs ? Mystère. Tout doit être en tout cas fixé pour le premier août.

Mon séjour à St Jean s'est fort bien passé. J'y suis arrivé le samedi soir à 20H par la vieille diligence. Monsieur le Curé et son vicaire étaient au Salut. Melle Virginie était là pour me recevoir. L'accueil a été cordial comme bien tu penses et le soir on a bavardé fort avant dans la nuit. Tous avaient l'air en bonne santé et de bonne humeur. Toute la journée du dimanche s'est passée en causeries. Dans la matinée après la messe j'ai développé mon rouleau de pellicules avec l'abbé F.. Il ne m'a pas photographié ; peut-être n'y a t'il pas pensé ! Et puis il commençait à être fatigué de cette distraction. Le soir, du reste, il est parti pour Romans immédiatement après les Vêpres pour ne revenir que le jeudi. Il en fait un peu à sa tête. Je suis reparti le lundi matin par le même courrier que celui que tu as pris. J'ai eu plaisir à revoir de près ces belles montagnes de St-Jean.

Je t'embrasse bien fort.

Dr Paul B.

 

Ce 9 août 1917

 

Ta lettre du 31 m'est arrivée,mon cher Joseph ; elle est messagère d'une nouvelle assez importante, ta mutation. Ainsi tu as quitté le G.b.O.66 pour devenir artilleur. Tu ne me dis pas si c'est comme brancardier que tu es dans l'artillerie ou comme combattant ; si tu es affecté à l'échelon ou à une batterie ; si tu es dans l'artillerie lourde (et quel calibre ?) ou dans l'artillerie  de campagne. Si tu es devenu combattant, tu vas pouvoir prendre du galon. Que penses-tu de ton changement. Pour moi, je crois que tu ne perds pas au change en ce sens que tu en as fini ou presque avec les marches et contremarches, avec les relèves éreintantes, avec les changements incessants de secteur. Tu seras plus stable et par suite plus confortablement installé ; tu auras de bonnes cagnas ordinairement ; tu seras transporté en camion ou en voiture. Au point de vue risque, je ne pense pas qu'il y ait grande différence ou s'il y en a elle serait en faveur de l'artillerie.

Dans cette guerre, l'infanterie est bien l'arme la plus mal partagée à tous les points de vue : j'en sais quelque chose.

Le numéro du secteur postal n'a pas changé pour ton adresse : d'où je conclus que tu es à l'artillerie divisionnaire de la 66eme D.I. Tu es aussi très probablement toujours du bon coté du Chemin des Dames, peut-être du coté de Braye en Laonnais que je me rappelle avoir vu du plateau de Verneuil.

Je ne sais si je t'ai dit qu'au retour de ma permission, j'ai vu en gare de Corbeil C. Henri, chasseur alpin, que j'avais bien connu au petit puis grand séminaire. Il est brancardier d'une compagnie de mitrailleuses. Le chanoine M., sa soeur et l'abbé F. à qui j'avais adressé un mot de remerciement, m'ont très aimablement répondu et m'ont assuré qu'ils avaient été très content de ma visite.

J'ai envoyé à Renage et à Marthe les photos que j'avais prises à Renage. Tout le monde en a été satisfait. Marthe m'a dit toutefois que les M. n'ont jamais eu le chic de bien poser devant l'appareil. Je n'ai pas pensé à photographier le monument funéraire : je le regrette. Du reste je n'ai plus d'appareil, car j'ai rendu celui que j'avais à la personne qui me l'avait prêté. Si j'étais plus riche, j'en achèterais un, mais hélas, ma solde suffit juste à me faire vivre. Je n'ai pas vu Mr F..

Nous sommes toujours à Saintines. A la suite de contre-ordres on a dû arrêter le démontage de notre hôpital : il est en voie d'achèvement maintenant. Ma nouvelle destination sera très probablement l'hôpital N° 42 à Pierrefonds, Oise ; c'est là qu'est déjà notre médecin-chef. Lundi, j'irai probablement faire un tour à Soissons ; j'y passerai le mardi. Je voudrais savoir s'il surnage quelque débris de mes affaires. Bon courage on cher Joseph.

Je t'embrasse de tout coeur.

Dr Paul B.

 

 

Prochaines lettres vers le 20 février...

 

Partager cet article
Repost0
18 décembre 2010 6 18 /12 /décembre /2010 22:13

l--quipe-m-dicale.jpg

 

 

Une équipe médicale en 1913 ou 1914, avant l'hécatombe...

 

La guerre continue sans Maurice tombé à Verdun fin août 1916. Pour la première fois depuis 2 ans 1/2 Paul, médecin major s'éloigne du front pour un hôpital de campagne tandis que son frère Joseph, vicaire-infirmier, fait le chemin inverse. Tout ne devient pas pour autant idyllique ! Paul décrit  aussi la situation de son père et de sa soeur Yvonne, restés à Maubeuge en zone occupée depuis le début de la guerre

Thiaumont

 

Saintines le 2 avril 1917

 

Adresse : hôpital temporaire n°26 saintines Oise

 

Mon cher Joseph,

 

Après moult pérégrinations, je suis arrivé à mon nouveau poste. J'habite un petit village de l'Oise à 12 kilom. Au sud de Compiègne, environ pas très loin de Crépy en Valois. Je suis membre fondateur d'un hôpital de 350 lits, qui remplace une ambulance fixée ici depuis longtemps, la 7/13. Les autres membres sont 1 médecin chef à 3 galons, 1 Médecin traitant pour la salle des médecines (moi je suis médecin traitant pour la salle de chirurgie), 1 officier gestionnaire, 1 pharmacien. Il y a aussi 7 infirmières militarisées et une soixantaine d'infirmiers. C'est assez important comme tu vois. J'ai dû me loger au village où j'ai loué une chambre. Ici en effet ce n'est plus zone des armées, c'est zone de l'intérieur. Aussi devons-nous nous loger et nous nourrir de nos deniers. La question nourriture est très difficile à régler. Tout est fort cher et il n'y a pas du reste d'hotel ni de restaurant. Aussi nous faut-il trouver local, cuisinière, chauffage, vivres. Je ne sais encore comment ça va s'arranger. Le village est petit, c'est un trou et naturellement peu de ressources.

Pourvu que le beau temps arrive vite, car le pays est assez beau surtout placé à proximité de la forêt de Compiègne. Depuis plusieurs jours il fait un bien triste temps pluvieux et froid.

Mon retour de permission a été mouvementé. Je t'ai dit qu'à Lyon j'ai vu V. et c'est d'accord avec lui que j'ai arrêté la disposition du texte de l'image memento. Je trouvé qu'il était trop chargé, aussi pour dégager un peu j'ai fait supprimer la phrase : « Bitristus (?)..., qui du reste n'avait pas de raison d'être. Je crois que tu pourras laisser le texte ainsi qu'il est disposé sauf erreur grossière de typographie, d'orthographe...etc...J'ai mis finalement « réalisant...cette parole qu'il disait aux siens », car j'ai trouvé que c'était plus français que « réalisant ces mots... ».

De Lyon je suis allé à Paris où j'ai passé 4 jours. J'ai dû attendre une lettre de service pour la 6e région. Dans la capitale j'ai vu Mme Y. malade au lit, la famille P. (Marie Y.) ; je suis allé au siège de la société de S.M. rue de la Boétie. J'ai vu l'hotellerie Gaston rapatriée tout récemment et Melles Simone L. et M.. J'ai eu quelques détails sur Maubeuge. Papa est directeur de l'usine par délégation du banquier Piérard. Il y va presque tous les jours et il la surveille. Les bâtiments de l'usine ne sont pas abimés, mais le matériel a été déménagé. Yvonne tient les orgues de Sous le bois et dirige un choeur de chanteuses. Papa et Yvonne voient souvent les Y., les D., et font la partie avec eux. Ils sont nourris par le ravitaillement américain. Ils sont inquiets surtout de n'avoir point de nouvelles de nous. De Paris j'ai été expédié à Châlons où j'ai passé 2 jours; puis je suis revenu à Paris où nouveau séjour ; puis voyage à Compiègne, à Verberie et à Saintines. Je n'ai jamais tant voyagé. A bientôt de tes nouvelles. Je t'embrasse.

Dr Paul

 

16 Avril 1917

 

C'est toujours de Saintines que je t'écris, mon cher Joseph. Je commence commence à me faire à l'idée que je ne suis plus médecin de bataillon. Ca n'a pas été sans peine. Notre hôpital est installé médiocrement ; je ne sais s'il vivra longtemps. Il occupe quelques locaux, d'une fabrique d'allumettes qui marche plus fort que jamais. Aussi l'ingénieur directeur réclame ces locaux comme absolument nécessaires à sa fabrique. Nous de notre côté, nous nous sommes plaints des fumées de la fabrique qui empoisonnent nos salles de malades et salissent tout. De plus nous n'avons touché qu'une petite partie du matériel dont a besoin l'hôpital : nous n'avons point de voitures, point de chevaux pour le ravitaillement des malades et blessés, du détachement des infirmiers. On fonctionne comme on peut, c'est à dire avec peine. Heureusement qu'il y a peu de malades et de blessés, une quarantaine en tout, la plupart en bonne voie de guérison. Pour soigner cette quarantaine, nous avons soixante infirmiers et une équipe de neuf infirmières ! Il est vrai que l'hopital comprend 350 lits.

J'ai loué une chambre au presbytère : chambre assez grande, à deux fenêtres, mais peu confortable. Notre popote est également au presbytère que nous avons ainsi presque complètement accaparé. Le Curé est mobilisé depuis le début de la campagne et c'est le bedaud qui garde sa maison. Nous avons eu beaucoup de peine à mettre cette popote sur pied. Comme nous sommes à l'intérieur, nous devons vivre à nos frais et tout est d'une cherté incroyable. De plus il est très difficile de se ravitailler ici : le pays comprend environ 500 habitants. Je ne sais si nous en tirerons avec 180 à 2OO par mois et par tête. Et nous n'avons pas les indemnités de front. Je ne pourrai plus envoyer d'argent à Maman dans ces conditions car j'aurai même besoin de ma délégation de solde. Je ne plains pas pourtant car je vois trop bien mon changement de sort. Et toi, que deviens-tu ? Es-tu complètement habitué à ton nouveau genre de vie ?

As-tu de bons camarades ? Avez-vous fait de la relève et du transport de blessés ? Je souhaite que tu t'accommodes bien des multiples incommodités que tu trouves sur ta route. Je les connais bien et ma foi je sais qu'on s'y fait petit à petit.

Qu'advient-il des memento ? Je pense que le texte est arrêté définitivement et que Jacquin a les images. Ce sera un bon souvenir du cher Maurice.

Maman a la photographie de Maurice agrandi par Jacquin et encadrée. Elle ne me dit pas s'il est bien ressemblant.

Maubeuge sera- t'il dégagé bientôt ? Pourvu que les boches ne continuent pas leurs ravages en se retirant !

A bientôt de tes nouvelles. Je t'embrasse.

Dr P B.

 

Le 25 avril 1917 (à Joseph)

 

J'ai reçu ta lettre ainsi que le memento 3e épreuve. C'est une question qui n'en finit plus. Je m'en inquiète dès à présent et je vais tâcher de la résoudre à la satisfaction de tous. J'ai demandé une 4e épreuve avec les diverses modifications dont tu me parles : j'espère que celle-la sera la bonne.

Nous voici bien installés à Saintines. Notre popote au presbytère où j'ai ma chambre. Le pays est beau surtout parce qu'à proximité de la forêt de Compiègne. Malheureusement nous n'avons pas eu beaucoup de soleil jusqu'à présent. Peu de malades et de blessés dans notre hopital ; mais il doit  en venir bientôt. Aujourd'hui est venu le médecin-chef du Centre hospitalier de Compiègne. Il nous a annoncé plusieurs arrivées de blessés.

Que deviens-tu ? Es-tu près de la fournaise. J'imagine que tu te trouves à coté de Bétheny. As-tu bonne idée de notre offensive ? Bon courage. Je t'embrasse de tout coeur.

Dr Paul

 

 

prochaines lettres vers le 20 janvier 2011

Partager cet article
Repost0
20 novembre 2010 6 20 /11 /novembre /2010 13:19

 

gaz-lacrymogenes-450x307.jpg

 

Bien avant l'ère des manifs, on souffrait déjà dans les tranchées des gaz lacrymogènes...

 

 

 

 

 

Les deux témoignages ci-dessous ont été écrits quelques semaines après  la mort de Maurice par un ami d'infortune, puis en 1922 par  le maire de son village lors du retour de son corps :  j'espère que vous partagerai l'émotion que j'ai ressentie en les lisant, même si le style est un peu emphatique.

Dorénavant la guerre continue sans Maurice.  La correspondance s'espace...Il devient difficile de la publier en conformité avec les dates. Une série de lettres sera donc publiée sur le blog aux alentours du 20 de chaque mois, jusqu'à l'épilogue.

 Les cérémonies récentes du 11 novembre ont aussi ravivé  le souvenir que nous avons  vis à vis de tous ces jeunes (et moins jeunes) qui ont souffert de la peur, de la boue, de la soif, de leur blessures ou qui ont perdu la vie dans cet immense champ de batailles. Comment nous serions nous comportés à leur place ?

Thiaumont

 

Le 19-10-16

 

Monsieur,

 

Hier matin, l'enveloppe au large encadrement de noir apporta la réponse à mon amitié inquiète. Le soir, ma plume a hésité, puis s'est reprise à répondre. Je la reprends cette nuit car je ne veux pas tarder à vous exprimer la part douloureuse que je prends à un deuil si cruel. Maurice B. en effet était pour moi un ami sûr  que je considérais parmi les meilleurs.

Je fis sa connaissance, au commencement de l'année 1915, à Guéret, quand, au sortir de convalescence après une blessure reçue près de Soupir, il rejoignit le dépôt du régiment et fut affecté à la 26e Cie dont je faisais partie. Tout de suite, nous fumes attirés l'un vers l'autre. J'avais remarqué  ce beau jeune homme aux allures distinguées, aux yeux noirs pétillants d'intelligence, à la lèvre fine dessinant parfois un arc malicieux, qui toujours gai, rieur, semblait dès le premier abord, vouloir mettre un peu de vie dans mon recueillement presque continuel et parfois morose. Nous causâmes. Deux envahis : St Amand, où était restée toute ma famille ; Maubeuge où il avait laissé une partie de ses affections. Le soir, « après la soupe » nous sortîmes ensemble et échangeâmes nos impressions. Dès lors, l'habitude était prise. Nous promenâmes dans le morne Gueret, presque quotidiennement, notre nostalgie. Peu à peu une certaine intimité s'établit qui, fait d'une connaissance plus approfondie l'un de l'autre, devint plus étroite avec le temps et ne devait finir qu'avec la mort. De nos entretiens, que vous dirai-je ? Vous savez mieux que moi quels trésors d'affection familiale son bon coeur recelait. Avec quel intérêt un peu anxieux, il suivait les opérations dans votre secteur, avec quelle fierté, il me fit part de certaines citations ! Quel soulagement ce fut pour lui de recevoir des nouvelles de Maubeuge ! Avec quelle joie d'enfant il me racontait sa dernière permission dans la Drôme, je crois, au sein de sa chère famille! Les jours passèrent. Mon tour vint de rejoindre le front ; je fus désigné pour le 12è. Quelques temps après, Maurice m'annoncera son départ pour le 48e. C'était la séparation. Dès lors, à intervalles presque réguliers, nous échangeames de courtes cartes nous renseignement succinctement, car la vie des tranchées n'est pas faite pour les longues missives. A titre d'exemple, je vous dresse l'avant dernière du 6 août (je conserve pieusement les autres en souvenir de lui). Je n'ai pu malheureusement retrouver la dernière datée des derniers jours, du moins je pense ; moi-même, très occupé à ce moment dans la Somme, j'ai du l'égarer. Elle disait en substance : «  Je suis dans le plus mauvais coin que j'ai jamais vu. Prie pour moi. ». Je lui ai répondu aussitôt de m'écrire très souvent quelques mots seulement.

Aucune réponse ne devait jamais venir. Maurice B. était tombé en brave, dans cette effroyable bataille de Verdun qui a moissonné tant de fleurs parmi la jeunesse française. Il avait antérieurement, au cours d'un magnifique assaut, mérité une belle citation. Ceci n'est pas pour m'étonner, c'était son tempérament ardent, plein de dévouement, je dirais presque dans ses habitudes, car, plusieurs fois j'entendis dire à Guéret par des soldats qui l'avait vu : « le Sergent B. a du cran, il est magnifique au feu ». Hélas la mort est aveugle et elle fauche sans discerner.

Ainsi la destinée de Maurice s'est accomplie. C'est un devoir pour des amis de faire revivre sa mémoire. Un plus vif regret est de ne pouvoir apporter à ce travail qu'une très faible contribution. Mon concours ne peut être que très modeste, je suis au front, c'est tout dire.

Vous me demandiez ce qu'était devenu m. D., son ancien Capitaine au début de la guerre. Blessé au début de 1915, il n'a plus reparu sur le front du 127e. J'écris au dépôt de Guéret pour tacher de retrouver son adresse.

L'ancien Sergent-major de la 26e Cie, est contrôleur d'obus actuellement. Désiré (?), Firminy, 8 rue de l'orphelinat.

Un autre de ses amis, l'aspirant L., de Valenciennes, actuellement en ligne, part au repos dans sept jours. Je le verrai personnellement.

Les autres sont tombés eux aussi ou affectés à des unités inconnues. Beaucoup son tombés ; Cruelle guerre !

Ainsi donc, Maurice B. n'est plus. Il reste à sa famille la douce consolation de sa sainte vie et de sa belle mort. J'ajoute qu'il emporte au delà de la tombe l'estime profonde et les regrets sincères de tous ceux qui ont eu le bonheur de l'approcher et de pouvoir l'apprécier. Pour moi, tant que je vivrai, je garderai proche en ma mémoire, le bon souvenir d'un véritable camarade ravi trop tôt à mon amitié.

Je vous prie de vouloir bien agréer, au nom de sa famille, l'expression douloureuse de ma sympathie attristée

 

W. (?)

 

P.S. Je vous prie de m'excuser l'écriture,mais je suis à court de papier, dans une lapinière...

 

 

 

 

Allocution du Maire de Moras pour le retour du corps de Maurice en 1922

 

Maurice vient à Moras tout jeune enfant. Une figure charmante, des yeux candides et doux le firent aimer. En grandissant se révélait en lui une nature droite, franche, réfléchie.

Fin observateur et se contentant de voir, d'écouter sans livrer ses émotions internes.

Parfois un sourire discret quand une chose lui plaisait, parfois une larme silencieuse quand une parole le blessait, jamais un reproche sur  ses lèvres, jamais une rancune dans le coeur. Mais sous cette aimable placidité, on devinait une âme virile, maitresse d'elle-même, un caractère fortement trempé.

On sentait qu'il était de taille à tenir haut et ferme les drapeaux de la religion et de la patrie, à devenir le fier champion de toutes les nobles causes.

Au début de la guerre c'était un beau brun de 21 ans à la stature haute et souple, il partit dès les premiers jours plein de courage et d'espoir.

A son ancien curé dont il connaissait l'affection pour lui et qu'il aimait cordialement en dépit de vieilles taquineries non oubliée peut-être mais pardonnée sûrement, il avait dit simplement : je ferai mon devoir de catholique et de soldat.

Blessé au pied il vint se faire soigner pendant plusieurs mois en Languedoc.

Après sa guérison, il repartit joyeux pour combattre jusqu'au bout.

Il est tombé glorieusement à la tête de ses hommes face à l'ennemi en fier chevalier honorant par sa mort héroïque et son pays et sa famille.

C'était un coeur plein d'intelligence, une intelligence pleine de coeur.

 

 

prochaines lettres vers le 20 décembre ...

Partager cet article
Repost0
21 octobre 2010 4 21 /10 /octobre /2010 19:23

Maurice_gd_format_1915.jpg

Maurice, déjà sergent,  en 1915

 

 

 

L'abbé Gouranton du 48e RI, avec qui Maurice avait beaucoup sympathisé revient sur les circonstances de la mort de Maurice devant le redoute de Thiaumont, à l'âge de 23 ans. Il s'adresse au frère de Maurice, qui est vicaire-infirmier et était avant la guerre abbé dans le sud de la France

Thiaumont

 

 

22 septembre 1916

 

C'est ma permission qui a retardé cette réponse à votre touchante lettre.

Oui, c'est bien le 29 août vers les 6 heures du soir que Maurice fut blessé et le jeudi 31 qu'il a rendu sa belle âme à dieu. C'est devant Thiaumont qu'il fut blessé. Dans cet horrible secteur il n'y a même pas de tranchées.

Maurice était tapis dans un trou d'obus quand un obus fusant éclate au dessus de lui, le criblant de blessures aux jambes, aux bras...

Le transport des blessés étant impossible de jour il a du rester 2 ou 3 heures sans être pansé, perdant beaucoup de sang. Je l'ai soigné moi-même au poste de secours et lui ai donné l'absolution. Il avait toute sa connaissance mais semblait très affaibli sans blessures mortelles.

Il fut transporté à l'arrière à l'arrivée des brancardiers divisionnaires vers les 20 heures. Il dut arriver à l'ambulance de fontaine-Routhon (19/20 SP80) vers la pointe du jour. Relevé le 30 ou plutôt dans la nuit du 30 au 31, j'allais le voir immédiatement en arrivant aux baraquements où nous avons passé 24h.

En arrivant à l'ambulance vers les 13h on me dit qu'il venait de mourir. J'ai interrogé les infirmiers de la salle, le malade son voisin de lit, l'aumônier, on ne m'a pas donné grand renseignement. Il m'a semblé comprendre qu'il s'est éteint sans secours à bout de sang. Personne n'a su qu'il passait ni s'aperçut de sa mort.

Il vous est absolument inutile de demander des renseignements à l'ambulance. Les décès sont nombreux en quelques heures, j'allais dire quelques minutes.

P Gouranton

aumonier 48e RI 3e bataillon SP74

 

 

 

2 octobre 1916

 

Monsieur l'abbé

 

J'ai reçu aujourd'hui votre lettre et le billet. La 9e messe sera bientôt de dite.

La tombe pourrait peut-être photographiée par l'aumonier de l'ambulance. Le cercueil de Maurice est en bois léger mais cependant solide.

Demandez à l' aumonier si vous pourriez le mettre dans un autre cercueil.

Je crois cependant qu'il vous vaudrait mieux attendre la fin de la guerre.

J'habitais avant la guerre à l'ancien Kursaal de Dinant Belgique. Je suis religieux oblat de marie Immaculée ; Si le bon Dieu nous conserve, nous pourrons nous voir après la guerre.

Union de prières

P Gouranton

 

prochaines lettres vers le 19 novembre

 

Partager cet article
Repost0
22 septembre 2010 3 22 /09 /septembre /2010 22:09

  z-Verdun--79-.JPG

ossuaire de Verdun

 

Trois semaines se sont écoulées depuis la mort de Maurice dans une énième attaque de la redoute de Thiaumont. Voici le récit de ses dernières heures par l'aumonier du 48e régiment d'infanterie de Guigamp avec lequel Maurice avait contruit une solide amitié. La lettre est adressée à Monsieur l'Abbé, c'est à dire Joseph, le frère de Maurice.

Cette fin presque anonyme d'un jeune homme sympathique et courageux est terriblement représentative du  gachis humain  qu'a généré cette impitoyable guerre.

Thiaumont

 

22 septembre 1916

 

C'est ma permission qui a retardé cette réponse à votre touchante lettre.

Oui, c'est bien le 29 août vers les 6 heures du soir que Maurice fut blessé et le jeudi 31 qu'il a rendu sa belle âme à dieu. C'est devant Thiaumont qu'il fut blessé. Dans cet horrible secteur il n'y a même pas de tranchées.

Maurice était tapis dans un trou d'obus quand un obus fusant éclate au dessus de lui, le criblant de blessures aux jambes, aux bras...

Le transport des blessés étant impossible de jour il a du rester 2 ou 3 heures sans être pansé, perdant beaucoup de sang. Je l'ai soigné moi-même au poste de secours et lui ai donné l'absolution. Il avait toute sa connaissance mais semblait très affaibli sans blessures mortelles.

Il fut transporté à l'arrière à l'arrivée des brancardiers divisionnaires vers les 20 heures. Il dut arriver à l'ambulance de fontaine-Routhon (19/20 SP80) vers la pointe du jour. Relevé le 30 ou plutôt dans la nuit du 30 au 31, j'allais le voir immédiatement en arrivant aux baraquements où nous avons passé 24h.

En arrivant à l'ambulance vers les 13h on me dit qu'il venait de mourir. J'ai interrogé les infirmiers de la salle, le malade son voisin de lit, l'aumônier, on ne m'a pas donné grand renseignement. Il m'a semblé comprendre qu'il s'est éteint sans secours à bout de sang. Personne n'a su qu'il passait ni s'aperçut de sa mort.

Il vous est absolument inutile de demander des renseignements à l'ambulance. Les décès sont nombreux en quelques heures, j'allais dire quelques minutes.

P Gouranton

aumonier 48e RI 3e bataillon SP74

 

 

 

2 octobre 1916

 

Monsieur l'abbé

 

J'ai reçu aujourd'hui votre lettre et le billet. La 9e messe sera bientôt de dite.

La tombe pourrait peut-être photographiée par l'aumonier de l'ambulance. Le cercueil de Maurice est en bois léger mais cependant solide.

Demandez à l' aumonier si vous pourriez le mettre dans un autre cercueil.

Je crois cependant qu'il vous vaudrait mieux attendre la fin de la guerre.

J'habitais avant la guerre à l'ancien Kursaal de Dinant Belgique. Je suis religieux oblat de marie Immaculée ; Si le bon Dieu nous conserve, nous pourrons nous voir après la guerre.

Union de prières

P Gouranton

 

 

  prochaines lettres vers le 19 octobre avec notamment une lettre émouvante d'un de ses compagnons d'armes...

 

Partager cet article
Repost0
21 août 2010 6 21 /08 /août /2010 18:56

100_1032.JPG

 

médaille de Verdun obtenu pour Maurice 93 ans

après sa mort

 

Depuis le temps que Maurice frolait les balles et les éclats d'obus à Verdun, il était à craindre, malgré l'aide de Dieu souvent invoqué, que l'un d'entre eux finissent par l'atteindre. C'est ce qui arriva lors d'une nouvelle offensive devant la redoute de Thiaumont le 29 aout 1916 à l'âge de 23 ans après 2 ans de sacrifices interrompus seulement par une prmeière blessure au pied en novembre 1914.

Quel dommage que la transfusion sanguine n'était pas encore au point : Maurice aurait certainement survécu, d'après le récit des évènements fait par son cher abbé Gouranton.

Ses descendants ont pu obtenir, maigre consolation, la médaille de la ville de Verdun 93 ans après sa mort car il avait été oublié. Paix à son âme !

Thiaumont (vous comprenez maintenant, chers lecteurs, le choix de ce pseudo)

 

 

 

 

 

 

 

Ce 23 aout 1916

 

Mon cher Maurice

 

Je suis très content de la carte que tu viens de m'envoyer . Tu me disais en effet dernièrement que tu remontais en ligne comme tu le penses j'étais inquiet et je te remercie de m'avoir rassuré aussitôt. J'espère que tu as déjà aussi rassuré Maman. Je crois qu'il faut avoir une grande confiance en Dieu. Il a su si bien jusqu'ici te préserver et te tirer d'affaire. Je n'ai toujours rien de Paul. Maman est intervenue directement au sujet de sa relève. Peut-être qu'il aboutira non pas à être renvoyé à l'arrière  ce qu'il ne désire pas d'ailleurs, mais a être affecté à quelque formation sanitaire du front. Son régiment est en ce moment de garde d'honneur au grand quartier général. Albert N. m'a écrit un mot de Liverpool où il est en ce moment toujours attaché à la commission internationale de Londres. Sa mère me disait qu'il avait été un  moment en conflit avec l'amirauté. Ce n'est pas précisément peu de chose. J'ai eu des nouvelles de l'abbé R. qui était tout heureux d'avoir un mot de toi. Il me dit : rien de nouveau, la mentalité est inchangée malgré la guerre. J'ai aussi des nouvelles de C. qui me dit que tout va bien mais qu'il n'y  a que le moral qui cloche. A bientôt de tes nouvelles. Je t'embrasse de tout coeur et te souhaite une bonne santé avec le secours de Dieu

Joseph

 

Le 30 août 1916

 

Monsieur l'abbé

 

Votre frère Maurice  a été blessé hier soir vers les 6h en montant à l'assaut d'un tranchée ennemie : éclats d'obus à la jambe droite et au bras gauche ; pas de fracture. J'espère que le cher ami, je l'aimais beaucoup, se tirera d'affaires. Si possible je ferai en sorte de trouver son ambulance et d'aller le voir, dans ce cas je vous préviendrais.

Priez bien pour nous, bien exposés.

Sentiments bien dévoués

P Gouranton

aumônier 48e

 

Le 1er septembre 1916

 

Monsieur l'abbé

 

J'ai une triste nouvelle à vous annoncer. Votre frère Maurice B. est mort avant hier à l'ambulance de Fontaine-Routhon (ambulance 19/20 SP80) près de Souhesmes à 7 ou 8 km de Verdun. Blessé la veille, je l'avais pansé moi-même. De éclats d'obus lui avaient traversé les jambes, le bras, abîmé une main.

Il dut perdre beaucoup de sang, et il s'éteignit tout doucement jeudi vers les 11h du matin sans que personne s'en aperçoive dans la salle.

Sorti des tranchées le matin même, je courus à l'ambulance, j'y arrivai à midi ½; J'ai pu dire une prière près de son corps. Il est dans un cercueil et une tombe à part. J'ai recommandé de lui mettre un petit encadrement.

Ce matin j'ai célébré une messe devant les sous officiers de la Cie pour le repos de son âme. Je le regrette bien, il était un de mes amis et un de mes meilleurs chrétiens. Je lui ai donné l'absolution au poste de secours de 1ere ligne. Une prière pour nous le 48e.

Croyez, monsieur l'abbé à mes sentiments dévoués.

P Gouranton

aumonier 48e RI 3e bataillon SP74

 

 

prochaines lettres vers le 22 septembre (avec un récit plus précis de ses dernières heures)...

 

Partager cet article
Repost0
15 août 2010 7 15 /08 /août /2010 21:15

thiaumont3.jpg

La redoute de Thiaumont telle qu'elle devait apparaitre an août 1916 aux soldats français chargés de la reprendre à l'ennemi

 

 

Après le début de la bataille de la Somme, les Allemands commencent à reculer à Verdun ; pour le général Nivelle qu a pris le commandement du secteur après le départ du général (futur maréchal) Pétain, il n'est pas question de répit : l'offensive à tout prix est son crédo...D'où les batailles acharnées qui continuent de se dérouler dans le secteur, notamment devant la redoute de Thiaumont devant laquelle Maurice a conduit une section à l'offensive et obtient une citation. Son frère Joseph, vicaire, dont peu de lettres ont été conservées, est légitimement inquiet mais essait de lui apporter le réconfort de la religion. Ils évoquent à nouveau également le sort de leur soeur et de leur père bloqués à Maubeuge.

Thiaumont

 

 

Le 16 août 1916

 

Mon cher Maurice

Je reçois aujourd'hui ta lettre du 7 août et je me demande vraiment si mes lettres t'arrivent car il me semble que tu me demandes si je reçois les tiennes. Je les reçois bien et chaque fois j'y réponds sans retard.

Je suis heureux de te savoir bien portant et bien refait dans le repos et le calme. Je te souhaite bonne chance dans le secteur dangereux que vous allez de nouveau garder je prierai le Bon Dieu de te continuer sa protection. Tu as passé je vois une  agréable soirée au presbytère avec l'aumonier de ton régiment et celui de la brigade. Ce sont de petits adoucissements au milieu de la terrible existence que tu mènes. J'ai des nouvelles de maman : elle va bien. C'est par elle que j'ai des nouvelles de Paul car il n'y a pas moyen de le décider à écrire. Je crois qu'il ne touche pas encore à la relève ; il lui manque des points paraît-il. Maman m'a communiqué une carte message vernie de Francfort (croix Rouge) par l'intermédiaire du ministère, c'est une copie d'une lettre partie de Maubeuge quelques mots seulement : « nous allons bien et nous ne manquons de rien de ce qui est nécessaire à la vie » Et ils demandent de nos nouvelles. Cette carte est datée de juin. Enfin nous somme un peu plus rassurés. St Jean m'écrit qu'il a reçu ta lettre. Tu leur a fait grand plaisir ainsi qu'à l'abbé R. dont je reçois une carte aujourd'hui. Mr le Curé de St Jean ne peut plus compter sur les prêtres infirmiers de Romans qui sont partis ou malades. Le voilà donc complètement seul. A l'arrière comme à l'avant on souffre et on désire la fin de la guerre; on m'annonce que l'un trépasse, que l'autre est prisonnier ce sont les meilleures nouvelles que l'on puisse avoir maintenant. J'ai de bonnes nouvelles de Renage. L'oncle a été ravi de la carte que je lui ai adressé de Séveux (?). Il a habité ce pays plusieurs années. Il est toujours très tourmenté à ton sujet ; s'il n'a pas de nouvelles de quelque temps, il ne vit pas. Ici c'est calme persistant. Nous pouvons être de quelque utilité à Mr le Curé de Br. Il a une laryngite. On lui a recommandé de ne pas parler, nous lui assurons donc toutes ses bénédictions du soir. La veille du 15 aout j'ai fait une séance de 5 heures au confessionnal. C'est fatigant sans doute mais bien consolant; a bientôt de tes nouvelles. Que le Bon Dieu veille sur toi. Je t'embrasse de tout coeur.

Joseph

 

Le 16 août

 

Bien cher Joseph

 

tout va bien. Suis sorti indemne de la fournaise malgré notre attaque et les feux intenses d’artillerie. j’ai eu le plaisir de voir les Boches décamper devant nous. Je pense que nous ne remonterons plus en ligne ici ; c’est effrayant. Quoi de neuf à B. ? Maman a reçu des nouvelles de Maubeuge, elles sont bonnes, heureusement. Quand pourrons-nous avoir librement de leurs nouvelles et quand tout cela finira t’il ? A bientôt  je t’embrasse de tout cœur .

 

Le 20 Août

 

Bien Chère Maman

 

Sorti de l’enfer de V. nous descendons en repos ; en ce moment nous sommes en réserve  de …(illisible) et nous irons probablement là où nous étions au repos dernièrement. tout va bien. a bientôt nouvelles. merci de ton mandat.

Je t’embrasse de tout cœur

ton Maurice

 

Le 22 août

 

Cher Joseph

 

Je suis heureux de te savoir toujours en bonne santé et content de ton séjour à B.

J'ai également de bonnes nouvelles de maman et de Paul et j'ai été en apprenant que maman avait reçu des nouvelles de Maubeuge et de bonnes, heureusement. Espérons que bientôt nous les reverrons en bonne santé et délivrés de nos oppresseurs. Nous avons donné dernièrement à (Th) un des secteurs les plus terribles de la rive droite. J'y ai obtenu ma belle citation en conduisant ma section à l'avant et en la maintenant sur des positions conquises. Ne m'oublie pas auprès de l'excellente famille N..

Ton frère qui pense souvent  à toi et t'embrasse de tout coeur.

Maurice

 

 

Prochaines lettres (importantes) vers le 23 aout...

 

Partager cet article
Repost0