Guéret, chef lieu de la Creuse, place du marché
L'hiver se termine, bien au chaud pour Maurice qui a rejoint le dépôt de Guéret après sa convalescence et pour Joseph à Bruyères, tandis que Paul, le médecin,est toujours trés exposé dans les tranchées des Hauts de Meuse, après le coup de force des Eparges. Il n'a pas beaucoup le temps ni le goût d'écrire.
Maurice est tourmenté par les affres du retour au front. L'inquiétude de sa mère s'ajoute à sa propre angoisse.
Thiaumont
Le 26-3-15
Bien chère maman
Je viens de recevoir ta lettre à l'instant et j'y réponds de suite. J'ai pris connaissance de la lettre du général F.. Pour le 412e rien de fait, aussi je ne demanderai plus rien, et j'attendrai mon tour. Je crois que la semaine prochaine il va y avoir un départ pour renforcer le 127, qui se trouve vers Perthes et Beauséjour où il a subi de fortes pertes. Il faut je crois 1200 hommes, en serai-je cela se pourrait enfin j'espère et je compte rester pour la classe 1916, c'est à dire partir à mon tour, lorsque les autres y seront allés. Je t'écrirai dès que je saurai quelque chose.
En tout cas je n'ai rien reçu de Joseph pas plus que de Paul, je ne sais ce que cela veut dire ; je vais aujourd'hui puisque j'ai le temps (étant exempt d'exercice) leur écrire une lettre.
J'ai bien songer à me faire photographier et je crois que je ne tarderai pas à le faire, mais ce ne sera pas avec un costume neuf, car les dépots sont à sec. J'ai pu découvrir à grand peine un pantalon à peu près neuf ce qui remplacera bien mon vieux. Le temps n'est pas trop mauvais, il est même très chaud à certains jours. J'ai bien reçu ma carte de Mr R. du moins je le crois car je n'ai pu lire la signature.
Aujourd'hui je suis aller trouver le dentiste militaire, pour faire arracher ma mauvaise dent, qui me faisait mal. Malheureusement comme elle est fortement implantée et très cariée il n'a réussi qu'à enlever la couronne. Il a gratté l'intérieur pour permettre à l'air de circuler ; il m'a dit que l'abcès pourrait se vider et que le mal partirait. Dans le cas contraire, il m'a prié de retourner et qu'alors il m'arracherait les racines.
Je me suis fait payer une paire de lunettes par l'administration militaire. L'exercice n'est pas trop fatiguant et même plutôt intéressant, car la ville de Guéret n'a pas beaucoup de distractions à part le cinéma le Dimanche. Je conserve encore quelque temps la lettre du général F. et je te la renverrai avant peu. En attendant de tes bonnes nouvelles. Je t'embrasse de tout coeur
Ton Maurice
Le 26-3-15
Bien cher Joseph
Etonné de ne rien recevoir de toi je t'écris ces quelques mots pour savoir ce que tu deviens et te renseigner sur ce que je fais.
Je suis encore à la 26e Cie au dépôt où j'ai retrouvé de nombreux camarades de la Cie évacués après blessures ou maladie.
Nous sommes une quinzaine de sous officiers dont 8 qui ne sont jamais allés au feu. Si la circulaire Melle était strictement appliquée je devrais partir après tous ceux là sans compter 3 ou 4 sou-ofs qui sont revenus au dépôt avant moi. Enfin je verrai la semaine prochaine, car il doit y avoir un départ de renforts pour le 127. quant à moi je vais à l'exercice tous les jours comme chef de section ; mais ce sont pour la plupart des hommes du S.A. Ou bien des réformés pris bons ou encore des blessés retour de permission. Le temps passe vite, car le temps est beau et nombreux nous ne nous ennuyons pas. La ville de Guéret n'a rien d'intéressant, c'est une ville ou plutôt un gros bourg tout en montées et descentes. Le pays environnant est assez beau, nombreuses sources ; C.es boisées coteaux pittoresques. Et toi comment vas-tu, quoi de nouveau là-bas, comment va la famille N. ?
Je ne vois plus rien de neuf à t'apprendre. A bientôt de tes nouvelles. Je t'embrasse de tout coeur.
Maurice
Sergent 26e Cie dépôt 127 Guéret
Le 30-3-15
Bien cher Joseph
J'ai reçu tes 2 dernières cartes ainsi que les 4 miroirs que tu m'as envoyés, merci. Comme je te l'ai dit envoie les plutôt à Moras car ici je ne saurai où les mettre et ils seraient vite abimés.
J'ai en effet manquer de voir Mme X., d'après ce que m'a dit son cousin et je l'ai bien regretté. Nous avons causé intimement avec lui jusqu'à Lyon, c'est lui qui s'est approché de moi pour me demander si je n'étais pas le sergent qui était monté à Epinouze ; il m'a parlé de Mme X., alors je me suis fait connaître et la conversation a duré jusqu'à Lyon. Voilà ici un des coins pittoresques du pays. Rien de nouveau. Bonjour à nos amis. Je t'embrasse de tout coeur
Maurice
Le 10-4-15
Chère maman,
Je suis toujours au dépôt, malgré deux départs pour le 127, il est vrai qu'au 2e renfort on n'a demandé aucun sous-of à la 26eme (?). En tout cas voilà huit cent hommes en 15 jours de temps, sans compter les 1000 autres qu'un dépôt du midi lui avait fournis il y a 3 semaines.
En ce moment avec le temps qui fait, je suis assez enrhumé. Il pleut, il vente, il neige, il grêle, quel temps dégoutant, c'est effrayant. Je suis de semaine, aussi ai je du travail surtout avec la classe 16 qui arrive en ce moment, soit 110 par Cie. Quoi de nouveau là bas et as tu des nouvelles ? Ecris moi une longue lettre voilà déjà longtemps que je n'en ai eu. Allons bonne santé et courage, on en verra la fin, ça ne va pas trop mal. Je vous embrasse de tout coeur.
Maurice
Le 17-4-15
Bien cher Joseph,
Merci de tes deux dernières cartes qui m'ont fait bien plaisir, car j'y vois que tu es bien et que tu ne manques de rien, grâce à l'excellente famille N., qu'après la Guerre, j'espère, je verrai avec plaisir. Quant à moi je vais toujours bien et suis toujours au dépôt, malgré les renforts qui partent constamment, 3 en 3 semaines, c'est effrayant. Il faut te dire d'ailleurs que si l'on tient compte de la circulaire ministérielle qui parle des sous officiers blessés, je ne partirai qu'après 6 autres, qui n'ont jamais vu le feu ou sont revenus avant moi.
Le 127 donne beaucoup, après avoir donné énormément en Champagne. Il a depuis changé de place et se trouve je crois vers le pays où se trouve Paul. A part ça rien de nouveau,à part les lettres que j'ai reçues de maman, de Paul et la la tante , et qui prouvent qu'ils vont bien.
Merci pour les « Miroir » envoyés encore ici. Ceux que j'ai, je vais les envoyer à Moras pour augmenter la collection, déjà formée. Les choses ne vont pas trop mal mais vont trop lentement ; quand donc cela va t’il se terminer ? C'est long !
J'ai fait mes Pâques Dimanche dernier en l'Eglise de Guéret, où il y avait de nombreux soldats. Mon rhume est passé, je ne ressens plus ma blessure et je me suis fait vacciner contre la typhoïde 2 fois sans d'ailleurs rien sentir. Je vais faire ma photographie demain et je te l'enverrai; mais ce ne sera pas luxueux, pourvu que ce soit bien, c'est tout ce que je demande. Donc à bientôt de tes nouvelles et bonjour à la famille N.. Je t'embrasse de tout coeur.
Maurice
Le 17-4-15
Bien chère maman
J'ai reçu tes deux dernières lettres et particulièrement la dernière avec le mandat de 50 FR dont je vous remercie bien tous les deux.
Je vois que Paul fait fortune ; il pourra s'établir avec l'argent qu'il aura gagné pendant la campagne. Il m'a écrit 2 fois depuis que je suis ici; la première carte est une photographie il est assis et se trouve devant une maison avec le service médical du régiment, elle date du 24 mars. La deuxième carte ne dit rien, sauf cependant l'envoi de 50 fr ; cela suffit , car on sait au moins qu'il est en vie et qu'il se porte bien. Quant à moi mon rhume est passé et je suis en excellente santé. Ma dent ne me fait plus mal depuis qu'on m'a enlevé la couronne et mis à l'air les racines. Je ne me ressens plus de mon pied, aussi suis-je complètement remis.
La classe 1916 est arrivée, il y a d'assez beaux gaillards, mais pour la plus grande partie ce sont plutôt des « gamins » ; enfin elle est partie à Limoges où elle va être instruite. Je n'ai pas été pris comme instructeur, ni mon camarade; on a pris les 2 derniers arrivés et cela est juste, puis (cela l'est moins) un sergent qui n'est jamais allé au feu. Enfin tant pis, car je vois qu'on commence à suivre la circulaire ministérielle, relative au départ des cadres. Mardi nous envoyons un nouveau renfort au 107, c'est le 3eme en moins de 3 semaines, c'est phénoménal !!!??? ; comme sous-officier on a pris un type qui « n'avait jamais marché » ce qui me permet d'espérer que je pourrai me reposer encore quelque temps au dépôt. « Il y en a 6 avant moi » sans compter ceux qui ont des emplois. Donc il n'y rien à craindre pour l'instant.
J'ai été vacciné 2 fois contre la typhoïde et je n'ai rien senti.
Depuis 3 jours le temps s'est remis au beau ; la pluie et le vent ont cessé, ça n'est vraiment pas trop tôt. De Joseph, j'ai des nouvelles assez fréquemment ; dans la dernière il se montre toujours enchanté de son séjour à Bruyères et va toujours bien. Il me demande de ma faire photographier et il me dit « fais faire quelque chose de bien ». Je préfère me faire photographier sur carte postale comme celle de Paul, ce sera un aussi agréable souvenir et moins couteux. Pour la circonstance je prendrai ma capote neuve en drap bleu-clair avec col rabattu. Je le ferai demain si le temps le permet.
J'ai fait mes Pâques Dimanche dernier en l'Eglise de Guéret, avec d'assez nombreux soldats. J'ai eu des nouvelles de Mr R. et je vais lui répondre. J'en ai eu également de Renage, où se trouve Marthe, et de Port-Ste _Marie (C.,caporal D., D. etc). Tous mes respects à Mr A. et D. ainsi qu'à la famille Z. et à Mme M.. A bientôt de tes nouvelles, je t'embrasse de tout coeur.
Maurice
Je te renvoie la lettre du général F..
prochaines lettres vers le 13 mai avec un récit trés intéressant de Paul, au coeur de la bataille...